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50: Perception et mémorisation

December 3, 2012      Lettres      Philippe Gouillou      2 responses

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Dans l’idéal votre publicité sera remarquée, perçue, analysée et mémorisée. Dans les faits le phénomène de perception est assez complexe : nos sens sont limités et on ne sait même pas combien on en a, l’interprétation dépendra de l’environnement et même la mémorisation est un phénomène actif non stable.

1. Qu’est-ce que la perception

Perception

La perception est un processus actif, qui interprête les données obtenues par nos organes sensoriels et va jusqu’à la réorganisation de notre image du monde.

La perception passe par les sens, mais le problème est qu’on ne sait pas combien on en a. Traditionnellement l’école nous en a fait apprendre 5 (vision, audition, olfaction, toucher, goût) mais il y en a en fait bien plus en fonction de la définition choisie:  Proprioception (perception de son corps dans l’espace), Sens de l’équilibre, Sens de la chaleur, etc. (voir Cerveau & Psycho).

Interprétation

La caractéristique essentielle de la perception est qu’elle comprend une phase d’interprétation qui sera plus ou moins dépendante de l’environnement (les autres stimuli reçus en même temps), de la mémoire et de biais.

Environnement :

  • Un exemple connu d’interprétation dépendante de l’environnement est celui fait automatiquement par la vision avec des résultats parfois contradictoires :

    • Vous verrez une feuille comme “blanche” même si la lumière qui l’éclaire varie fortement (voir section 2. “L’odeur blanche” ci-après),

    • Vous ne verrez pas les mêmes couleurs en fonction de celles l’entourant (voir l’exemple Lettre 37.2 : L’effet Halo).

  • La vision binoculaire nous permet de reconstruire ce qui est partiellement caché, nous donnant une vision “radar” qui a été sélectionnée dans les environnement feuillus (Changizi, 2010)

  • Le phénomène d’interprétation ne se limite pas à l’intérieur d’un sens, mais peut en impliquer plusieurs à la fois :

    • “En 1976, Harry McGurk et John MacDonald ont mis au point une des expériences les plus impressionnantes où la vision perturbe l’audition. Dans leur illusion, un participant entend le phonème /ba/ tout en regardant les mouvements de lèvres articulant le phonème /ga/. Quand on demande au sujet quel stimulus auditif lui a été présenté, il dit avoir entendu le phonème /da/… qui n’a jamais été proposé !”
      Cerveau & Psycho

    • La lumière d’ambiance modifie le goût et la valeur perçue d’un vin (Oberfeld, 2009)

Mémoire :

  • Un stimulus encore présent dans la mémoire de travail va perturber les perceptions suivantes (Kang et al., 2011)

  • L’interprétation d’un stimulus se construira en référence aux expériences déjà vécues avec ce stimulus : on peut se référer au modèle à 3 niveaux de Palo Alto (voir : Lettre 22.1. “L’image du monde et le changement“)

Biais :

  • Une des fonctions des interprétations est de compenser la lenteur du cerveau : il va automatiquement calculer la situation future, et c’est celle-là qui sera “perçue”. Ce phénomène explique de nombreuses illusions d’optique (voir par exemple : Changizi, 2008, 2010).

  • Le cerveau va aussi essayer de créer une continuité d’expérience. Ce serait l’explication de la “Chronostasis” qui est l’illusion qu’après un mouvement brusque de l’oeil le temps semble s’étirer plus lentement (exemple : sur une horloge l’aiguille des secondes semblera mettre longtemps à s’activer juste après qu’on ait porté le regard dessus).

  • Les hommes reconnaissent mieux les objets, les femmes les êtres vivants (voir Lettre Neuromonaco 42.2.)

  • le cerveau humain perçoit les hommes comme un tout, et les femmes comme l’addition des parties de leur anatomie” (voir Atlantico qui fait une synthèse de Scientific American).

  • On fera plus attention à un mouvement venant vers soi qu’à un mouvement s’éloignant, et par extension à un mouvement allant vers le centre qu’à un mouvement allant vers les bords.

Pour aller plus loin

  • Vision : Chez la majorité des singes du nouveau monde seules les femelles perçoivent les couleurs  (Changizi, 2010, p 17)

  • Audition : certaines différences entre les hommes et les femmes s’expliquent par les taux hormonaux prénatals et se retrouvent entre les femmes d’orientations sexuelles différentes (McFadden, 2011)

  • Phéromones : La nécessité d’interprétation fait que nous n’avons pas, stricto senso, de “perception phéromonale” : nous avons bien un organe pour les “sentir” (le VNO : Organe Voméro-Nasal, dans le nez) mais les phéromones ont été définies comme des molécules provoquant un effet direct, non interprété (la définition a cependant évolué depuis et la distinction est beaucoup moins nette, voir Gouillou, 2010, pp 88-92).

  • Odorat : La perception de sa propre odeur a un impact sur l’attitude chez les hommes et donc sur leur attractivité. Lors d’un test en double aveugle, des femmes ont trouvé moins attractifs les hommes qui avaient testé un parfum sans déodorant que ceux qui en avaient testé un avec. Pour cela elles ne pouvaient pas se baser sur l’odeur : leurs notations étaient faites à partir de vidéos des hommes (Roberts et al., 2009, extension dans Roberts et al., 2011)

Liens


2. Odorat : L’odeur blanche

dosbears : Flickr 18625840

Si la perception du blanc dépend du post-traitement effectué par notre cerveau (voir ci-dessus), sa définition est elle précise :

pour être perçu comme blanc, un stimulus doit remplir deux conditions : le mélange qui le produit doit couvrir l’ensemble de notre perception ; et chaque composant doit être présent à exactement la même intensité“.
ScienceDaily

En d’autres termes : le blanc comprend un mélange égal de toutes les couleurs visibles.

Bien sûr cette définition est reportable au stimulus sonore (il existe des “bruits blancs”) et, plus surprenant, Weiss et al. (2012) viennent de montrer qu’on peut créer une “odeur blanche”.

Pour ce faire ils ont distingué 86 odeurs pures, c’est-à-dire ne contenant qu’une seule molécule odorante, puis ils les ont mélangées.

Ils ont trouvé qu’il suffit de mélanger à part égale 30 de ces composants pour que l’odeur obtenue ne soit pas distinguable de tout autre mélange de 30 composants.

Il ne s’agit donc pas encore, stricto senso, d’une odeur blanche (toutes les odeurs perceptibles ne sont pas mélangées) mais ça y ressemble.

Communiqué de Presse : Smelling a White OdorScienceDaily. Nov. 22, 2012

Image :White Rose” par Par dosbears (David Preston). Licence : CC-BY


3. Audition : Musique et non-verbal et émotions

Worst Disk Cover (ever)Les musiciens distinguent les accords majeurs, qui expriment la force, l’entrain, la joie, des accords mineurs qui expriment l’inverse, notamment la tristesse. 

Il avait déjà été démontré que cette même différence se retrouve dans les tonalités de langage en Occident : selon l’émotion, la voix sera plus ou moins majeure, ou mineure. C’est un élément de communication non verbale (rappel : voir Lettre 23.1. Le mythe des 93% de communication non-verbale).

Bowling et al. (2012) viennent de montrer que la même distinction se retrouve également en Inde du Sud, dans la musique comme dans la langue (en l’occurrence : le Tamil). Si cette équivalence est retrouvé dans d’autres langues encore, la communication trans-culturelle en sera facilitée.

Photo : Une couverture de disque, trouvée dans un florilège des pires ayant été imprimées.


4. Communication : Ironie et Théorie de l’Esprit

It is about mind over matter, if you don’t mind it doesn’t matter
Mark Twain

Des chercheurs français (Spotorno et al., 2012 ; CNRS/Université Claude Bernard-Lyon 1) viennent de montrer que la zone du cerveau correspondant à la “Théorie de l’Esprit” s’active quand on est confronté à des phrases ironiques.

La Théorie de l’Esprit (Theory of Mind, ou ToM) est ce qui nous permet de nous mettre à la place de l’autre, de prendre en compte son point de vue : voir Lettre 25.

Bien sûr, Robert Wright (l’auteur de L’Animal Moral) est un peu ironique dans The Atlantic : il semble logique a priori que cette zone soit en effet activée dans ce cas1.

D’après les auteurs il s’agit pourtant de la première étude qui montre une activation des 4 zones liée à la ToM : ils en ont recensé 7 et elles ne montrent aucune activation ou une activation partielle. Ils expliquent cette différence de résultat par une méthodologie plus stricte. 

Note

  1. Par son titre (“Des scientifiques trouvent le centre de détection de l’ironie !“) il se moque surtout des journalistes qui sortent régulièrement des titres de ce genre. A noter que les auteurs prennent bien soin dans leur article de réfuter par avance toute interprétation abusive : “Quoique nos résultats soient suggestifs, nous ne voulons pas affirmer que les quatre régions que nous avons étudiées soient dédiées exclusivement au traitement de la ToM.” 

Liens


5. C’est prouvé : la mémoire se recrée à chaque rappel

MIB

La Lettre Neuromonaco n° 8 l’avait rappelé : pour que ses clients reviennent, le plus important n’est pas ce qu’ils ont vécu mais ce qu’ils en ont retenu et cette mémoire dépendra principalement du moment le plus fort et de la fin de l’interaction (Loi d’Apogée / Fin).

Heu-reu-se-ment la mémoire n’est pas parfaite et peut être modifiée : même si tout s’est passé ca-tas-tro-phi-que-ment avec votre client, il pourra oublier, et finalement revenir vous donner une nouvelle chance.

Cette imperfection de la mémoire est connue mais n’était pas encore associée au fonctionnement cérébral. Au travers d’une étude astucieuse, Bridge & Paller (2012) viennent de montrer qu’il s’agit bien d’un recablage du cerveau à chaque remémorisation.

Ils ont fait un test sur 3 jours : le premier jour, les testés devaient mémoriser la position de 180 objets sur une grille et les jours suivants ils ont été interrogés sur quelques-unes de ces associations. Les résultats :

  • Les objets testés la deuxième journée étaient mieux positionnés le troisième jour que ceux qui ne l’avaient pas été ;

  • Le troisième jour, les objets étaient positionnés sur la grille plus près de la position donnée le deuxième jour que de celle d’origine

  • La force d’un signal électrique du cerveau le deuxième jour prédisait la proximité de localisation entre le deuxième et le troisième jour.

En d’autres termes : le cerveau se reprogrammait le deuxième jour et l’intensité de cette reprogrammation était perceptible par la force du signal électrique.


6. Videos : 12 Publicités Chanel N°5

A voir sur L’Express Styles douze publicités Chanel pour le parfum n°5 (un de ceux qui sont prévus être interdits par la Commission Européenne).

Vidéos :Chanel N°5 en 12 publicités cultes” Par Elodie Bousquet. L’Express Styles. 15/10/2012


7. Articles cités

Bowling, D.L., Sundararajan, J., Han, S., & Purves, D. (2012). Expression of Emotion in Eastern and Western Music Mirrors Vocalization. (O. Sporns, Ed.)PLoS ONE, 7(3), e31942. doi:10.1371/journal.pone.0031942

Bridge, D., & Paller, K. (2012). Neural Correlates of Reactivation and Retrieval-Induced Distortion. The Journal of Neuroscience.

Changizi, M. A. (2008). The trade-off between speed and complexity. Behavioral and Brain Sciences, 31(02). doi:10.1017/S0140525X08003853

Changizi, M. (2010). Vision Revolution Presentation (Slides).

Roberts, S. C., Little, A. C., Lyndon, A., Roberts, J., Havlicek, J., & Wright, R. L. (2009). Manipulation of body odour alters men’s self-confidence and judgements of their visual attractiveness by women. International journal of cosmetic science, 31(1), 47–54. doi:10.1111/j.1468-2494.2008.00477.x

Roberts, S. C., Kralevich, A., Ferdenzi, C., Saxton, T. K., Jones, B. C., Debruine, L. M., Little, A. C., et al. (2011). Body Odor Quality Predicts Behavioral Attractiveness in Humans. Archives of sexual behavior, 1–7. doi:10.1007/s10508-011-9803-8

Geary, D. C. (2003). Hommes, femmes : L’évolution des différences sexuelles humaines. (P. Gouillou, Trans.) (1ère ed., p. 481). Bruxelles: De Boeck Université.

Gouillou, P. (2010). Pourquoi les femmes des riches sont belles : programmation génétique et compétition sexuelle (2° ed., p. 238). Louvain: De Boeck.

Kang, M.-S., Hong, S. W., Blake, R., & Woodman, G. F. (2011). Visual working memory contaminates perception. Psychonomic bulletin & review. doi:10.3758/s13423-011-0126-5

McFadden, D. (2011). Sexual orientation and the auditory system. Frontiers in neuroendocrinology. doi:10.1016/j.yfrne.2011.02.001

Oberfeld, D., Hecht, H., Allendorf, U., & Wickelmaier, F. (2009). Ambient Lighting Modifies The Flavor Of Wine. Journal of Sensory Studies, 24(6), 797–832. doi:10.1111/j.1745-459X.2009.00239.x

Spotorno, N., Koun, E., Prado, J., Van Der Henst, J.-B., & Noveck, I. A. (2012). Neural evidence that utterance-processing entails mentalizing: The case of irony. NeuroImage. doi:10.1016/j.neuroimage.2012.06.046

Weiss, T., Snitz, K., Yablonka, A., Khan, R. M., Gafsou, D., Schneidman, E., & Sobel, N. (2012). Perceptual convergence of multi-component mixtures in olfaction implies an olfactory white. Proceedings of the National Academy of Sciences, 1–6. doi:10.1073/pnas.1208110109


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Citation de cette page :

(2012) : "Lettre Neuromonaco 50: Perception et mémorisation". ( Neuromonaco. Retrieved from https://neuromonaco.com/lettres/lettre50.htm on 20 Dec 2014. 2264 words.

[Lettre Neuromonaco 50: Perception et mémorisation](https://neuromonaco.com/lettres/lettre50.htm). Philippe Gouillou. _Neuromonaco_. 03 Dec 2012



2 Responses to “50: Perception et mémorisation”

  1. […] avait signalé qu’on peut maintenant créer des “odeurs blanches“. Sur le même thème, je viens de réaliser une revue de littérature […]

  2. […] déjà indiqué Lettre 50.1 (“Qu’est-ce que la perception“), Changizi et al. (2008) expliquent de nombreuses illusions d’optique par ce […]

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