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66: Votre visage vous trahit

April 8, 2013      Lettres      Philippe Gouillou      no responses

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Il n’y a pas que la beauté qui compte : notre cerveau montre une extraordinaire capacité à détecter à partir d’un très bref coup d’oeil au visage de nombreuses caractéristiques essentielles pour une relation. On remarquera que cette obsession de notre cerveau pour le visage mène parfois à des erreurs (paréidolies) qui sont déjà exploitées en communication. 

1. Visage : dominance, confiance et paréidolie

Il suffit de 100ms (1/10° de seconde) pour se faire une opinion assez valide de quelqu’un à partir d’une photo de son visage, et cela sur les critères d’attractivité, d’amabilité, de fiabilité, de compétence et d’agressivité, et la validité de l’impression ne sera plus augmentée après 500ms (Willis & Todorov, 2006).

Cette rapidité plus l’existence de la prosopagnosie (Wikipedia FR), qui est l’incapacité (de naissance ou post-traumatique) à reconnaître les visages, font penser que certaines zones du cerveau sont dédiées à cette reconnaissance, au-delà de la simple reconnaissance de forme. Les capacités humaines à ce niveau sont impressionnantes : nous sommes le plus souvent capables de reconnaître une personne sur des photos ayant des décennies d’écart.

Dominance faciale

Mueller & Mazur (1996) ont étudié le visage des Cadets de West Point et suivi leurs carrières au sein de l’armée : ceux qui montraient le plus de dominance faciale avaient les plus hauts grades en fin de carrière (mais pas en milieu de carrière).

Ils définissent la dominance faciale (Mazur & Mueller, 1996) comme :

Le degré auquel une personne est jugée à partir de son apparence faciale comme étant dominante, assertive, c’est-à-dire un leader, en opposé à quelqu’un qui est subordonné, soumis, c’est-à-dire un suiveur.

Il ne s’agit donc pas d’un critère de beauté[1] mais il reste un critère de qualité génétique chez les hommes (Mueller & Mazur, 1998), dont l’importance va très au delà d’une carrière militaire :

  • Rule & Ambady (2008) ont trouvé que le visage du CEO suffit à prédire le succès d’une société et ils ont montré en 2009 qu’on peut prédire le salaire d’une femme CEO à partir de sa dominance faciale.

  • Ohlsen et al. (2013) ont trouvé qu’après un priming[2] par des photos menaçantes, les testés ont suivi le regard d’un visage à forte dominance faciale, mais pas celui d’un visage à faible dominance faciale (voir MedicalXpress).

Visage et confiance

Il n’y a pas que la dominance qui est détectée très rapidement à partir du visage mais aussi la confiance :

  • DeBruine (2002) a montré que la ressemblance de visage augmente la confiance (ie: on a plus confiance en ceux qui nous ressemblent).

  • Haselhuhn & Wong (2011) ont trouvé que le ratio largeur/hauteur du visage (fWHR) prédit les comportements non éthiques chez les hommes. Cela est confirmé par Stirrat & Perrett (2010) qui ajoutent que l’on fait de toute façon moins confiance aux hommes ayant un visage large (donc : à raison).

    Cependant, les mêmes (Stirrat & Perrett, 2012) ont trouvé que les hommes au visage large coopérent plus avec leur groupe quand celui-ci est en compétition avec un autre groupe et qu’alors ils sont plus prêts à se sacrifier.

  • Gómez-Valdés et al. (2013) ont  contesté le lien entre le fWHR et l’agressivité.

  • Bryan et al. ont trouvé que les photos de visage prises de 60 centimètres inspirent moins la confiance que celles prises de 2 mètres (image ci-dessus, voir Neurosciencenews pour une synthèse).

Pareidolie

Notre rapidité à percevoir les visages a ses effets indésirables dont la paréidolie : nous aurons tendance à voir des visages (plus généralement : la tendance à donner du sens à des stimuli qui n’en ont pas) dans un peu n’importe quoi (exemple ci-joint, de très nombreux autres dans les liens ci-après).

La paréidolie n’est pas une maladie mentale, mais juste une conséquence du fonctionnement du cerveau. Cela est prouvé par le fait que les logiciels de reconnaissance de visage que l’on trouve un peu partout[3] en “souffrent” eux aussi, quoique avec des différences surprenantes.

Dans The Atlantic, Rebecca J. Rosen cite deux expériences :

  • Phil McCarthy a développé pareidoloop qui combine un générateur aléatoire de polygones avec un détecteur de visages et “mute” pour améliorer la reconnaissance (on obtient des visages qui ressemblent surprenament aux photos d’Einstein).

  • Greg Borenstein a passé 681 photos du Groupe Flickr dédié Hello Little Fella!  dans un logiciel de détection (FaceTracker) qui n’a trouvé un visage que dans 50 d’entre elles (soit 7%). Le point surprenant est que si le logiciel a parfois trouvé la même paréidolie que nous humains voyons, il lui arrivait d’en trouver d’autres, comme s’il souffrait d’une autre forme d’illusion, ces autres étant parfois meilleures (résultats obtenus : Machine Pareidolia).

Pour Rebecca J. Rosen, c’est le signe que les humains ont une paréidolie humaine et les ordinateurs une paréidolie machine.

Il semble plutôt que ça démontre que la paréidolie apparaît dès un faible niveau de détection (les ordinateurs sont encore très loin derrière les humains), que la comparaison aidera à mieux comprendre le fonctionnement de la perception humaine, et que les ordinateurs nous permettront peut-être à terme de savoir si on peut inventer un meilleur niveau de détection permettant de réduire la paréidolie. Il reste cependant que deux méthodes totalement différentes de détection du visage (holistique chez les humains, basée sur des formes et des ratios chez les ordinateurs) provoquent tous deux des faux positifs relativement proches.

Application pratique

Il y a énormément d’utilisations de cette obsession pour le visage en communication.

L’application la plus simple est de jouer sur la paréidolie pour engendrer la confiance, comme le fait par exemple Amazon dans son logo dont la flèche ne fait pas que relier “a” à “z” mais dessine surtout un sourire :

Logo Amazon

Pour aller plus loin

Il y a des différences sexuelles, les hommes et les femmes n’accordent pas la même importance au visage :

  • Confer, Perilloux & Buss (2010) ont trouvé que les hommes, mais pas les femmes, n’accordent pas la même importance à la beauté du visage pour les relations à court terme ou à long terme (voir traduction sur Evopsy)

  • Selon Peterson & Eckstein (2012), pour reconnaître les visages le mieux est de regarder juste en dessous des yeux.

  • Hall et al. (2010) ont trouvé qu’en règle générale, les femmes regardent plus les yeux que les hommes et cela a un impact sur leur meilleure capacité à détecter les émotions. A noter que l’ocytocine fait plus regarder les yeux (Guastella et al., 2008).

  • Rupp & Wallen (2007) ont trouvé que face à un stimulus sexuel :

    • Les hommes regardent plus le visage ;

    • Les femmes sous pilule contraceptive regardent plus les éléments de contexte (vêtements, etc.) ;

    • Les femmes ne prenant pas la pilule regardent plus les zones génitales.

  • DeBruine et al. (2010) ont trouvé que la préférence des femmes pour des hommes au visage plus masculin est liée au dégoût des pathogènes, mais pas aux dégoûts moraux et sexuels.

Notes 

  1. Sur la beauté, voir la Lettre 34: “De la beauté au design

  2. Priming et Subliminal sont expliqués Lettre 2 : “Manipuler sans se faire prendre : Priming et Subliminal

  3. Pour un exemple d’application en marketing, voir la vidéo de la Lettre 48 : “Suivez vos clients par leur visage“.

Liens

Photos : En haut : “Sadness and Dreams” by D Sharon Pruitt. Licence CC-BY. Visage homme : Bryan et al., 2012. Paréidolie : Auteur inconnu. Logo : Amazon.


2. Comment être un expert reconnu ? 

Shadock

La Lettre 41 (“Les experts ont-ils (presque) toujours tort ?”) avait montré comment devenir un expert et … comment les experts se plantent quasi systématiquement.

Dans HBR, Jerker Denrell va plus loin et montre que :

  • Il suffit d’avoir eu deux succès prédictifs surprenants pour déjà acquérir une réputation d’expert fiable ;

  • Ces deux succès ne prédisent en rien de futurs succès ;

  • En fait ils s’expliquent probablement par la pure chance…

Lien :“Experts” Who Beat the Odds Are Probably Just Lucky” by Jerker Denrell. Harvard Business Review. April 2013


3. Ailleurs : Pierre Côté sur le malheur des Français face aux Québecois

Pierre Côté, qui vient de publier son Indice Régional du Bonheur (PDF), a répondu à une interview sur Atlantico : “Pessimisme : la carte des régions françaises les plus malheureusesAtlantico. 28 mars 2013.

La comparaison avec le Québec est saisissante comme il le remarque sur son blog :

“Ce n’est pas la première fois, mais bien la troisième. L’IRB des Français est nettement plus faible que celui des Québécois. Presque dix points (67,50 vs 77,20). Et l’échantillon ne peut être mis en cause, car ce résultat français est issu de plus de 21 000 répondants.
Tous les indicateurs vont dans le même sens. L’IRB pondéré, la performance par rapport aux 24 facteurs d’influence du bonheur, tout. Imaginez, l’IRB de la ville québécoise figurant au bas du palmarès des villes les plus heureuses demeure plus de sept points au-dessus de l’IRB français.”
France vs Québec! (2013-03-26)

Extrait du rapport :


4. Video : Hypnose immédiate par Derren Brown

Sans paroles…

Youtube : Derren Brown – Stuck feet with EXPLANATION (0’54”)


5. Articles cités

Bryan, R., Perona, P., & Adolphs, R. (2012). Perspective distortion from interpersonal distance is an implicit visual cue for social judgments of faces. PloS one, 7(9), e45301. doi:10.1371/journal.pone.0045301

Confer, J. C., Perilloux, C., & Buss, D. M. (2010). More than just a pretty face: men’s priority shifts toward bodily attractiveness in short-term versus long-term mating contexts. Evolution and Human Behavior, 31(5), 5. doi: 10.1016/j.evolhumbehav.2010.04.002.

DeBruine, L. M. (2002). Facial resemblance enhances trust. Proceedings. Biological sciences / The Royal Society, 269(1498), 1307–12. doi:10.1098/rspb.2002.2034

DeBruine, L. M., Jones, B. C., Tybur, J. M., Lieberman, D., & Griskevicius, V. (2010). Women’s preferences for masculinity in male faces are predicted by pathogen disgust, but not by moral or sexual disgust. Evolution and Human Behavior, 31(1), 69–74. doi:10.1016/j.evolhumbehav.2009.09.003

Guastella, A. J., Mitchell, P. B., & Dadds, M. R. (2008). Oxytocin increases gaze to the eye region of human faces. Biological psychiatry, 63(1), 3–5. doi:10.1016/j.biopsych.2007.06.026

Gómez-Valdés, J., Hünemeier, T., Quinto-Sánchez, M., Paschetta, C., De Azevedo, S., González, M. F., Martínez-Abadías, N., et al. (2013). Lack of support for the association between facial shape and aggression: a reappraisal based on a worldwide population genetics perspective. PloS one, 8(1), e52317. doi:10.1371/journal.pone.0052317

Hall, J. K., Hutton, S. B., & Morgan, M. J. (2010). Sex differences in scanning faces: Does attention to the eyes explain female superiority in facial expression recognition? Cognition & Emotion, 24(4), 629–637. doi:10.1080/02699930902906882

Haselhuhn, M. P., & Wong, E. M. (2011). Bad to the bone: facial structure predicts unethical behaviour. Proceedings. Biological sciences / The Royal Society, rspb.2011.1193–. doi:10.1098/rspb.2011.1193

Martinez-Conde, S., & Macknik, S. L. (2012). A Faithful Resemblance: When seeing is believing. Scientific American Mind, (Sept-Oct.), 19–21.

Mazur, Allan & Mueller, Ulrich (1996).  Facial Dominance.  A. Somit and S. Peterson (Eds.), Research in Biopolitics, Vol 4  (London: JAI Press)  pp 99-111 

Mueller, Ulrich, & Mazur, A. (1996). Facial Dominance of West Point Cadets as a Predictor of Later Military Rank. Social Forces, 74(3), 823–850. doi:10.2307/2580383

Mueller, U, & Mazur, A. (1998). Facial Dominance in Homo Sapiens as Honest Signaling of Male Quality. Behavioral Ecology.

Ohlsen, G., Van Zoest, W., & Van Vugt, M. (2013). Gender and Facial Dominance in Gaze Cuing: Emotional Context Matters in the Eyes That We Follow. (A. Avenanti, Ed.)PLoS ONE, 8(4), e59471. doi:10.1371/journal.pone.0059471

Peterson, M. F., & Eckstein, M. P. (2012). Looking just below the eyes is optimal across face recognition tasks. Proceedings of the National Academy of Sciences. doi:10.1073/pnas.1214269109

Rule, N. O., & Ambady, N. (2008). The face of success: inferences from chief executive officers’ appearance predict company profits. Psychological Science, 19(2), 109–111.

Rule, N. O., & Ambady, N. (2009). She’s Got the Look: Inferences from Female Chief Executive Officers’ Faces Predict their Success. Sex Roles, 61(9-10), 644–652. doi:10.1007/s11199-009-9658-9

Rupp, H. a, & Wallen, K. (2007). Sex differences in viewing sexual stimuli: An eye-tracking study in men and women. Hormones and Behavior, 51(4), 524 – 533. doi:10.1016/j.yhbeh.2007.01.008

Stirrat, M., & Perrett, D. I. (2010). Valid facial cues to cooperation and trust: male facial width and trustworthiness. Psychological Science, 21(3), 349–354. Retrieved from http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/20424067

Stirrat, M., & Perrett, D. I. (2012). Face structure predicts cooperation: men with wider faces are more generous to their in-group when out-group competition is salient. Psychological science, 23(7), 718–22. doi:10.1177/0956797611435133

Willis, J., & Todorov, A. (2006). First impressions: making up your mind after a 100-ms exposure to a face. Psychological Science, 17(7), 592–598. Retrieved from http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/16866745


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Citation de cette page :

(2013) : "Lettre Neuromonaco 66: Votre visage vous trahit". ( Neuromonaco. Retrieved from https://neuromonaco.com/lettres/lettre66.htm on 20 Dec 2014. 2413 words.

[Lettre Neuromonaco 66: Votre visage vous trahit](https://neuromonaco.com/lettres/lettre66.htm). Philippe Gouillou. _Neuromonaco_. 08 Apr 2013



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