111: Comment communiquer quand c’est interdit ?
April 14, 2014 Lettres Philippe Gouillou one response
Tagged with: Confiance • Handicap • Hormones • OcytocineLa Théorie du Handicap, présentée Lettre 9 avait montré un moyen de générer la confiance par l'envoi d'un message fiable. Cette Lettre présente une technique particulière qui permet de s'en approcher alors même qu'il est impossible d'envoyer un tel message.
Aussi : une nouvelle étude vient préciser les effets de l'Ocytocine, cette hormone si importante dans les relations humaines ; le planning des lettres de la semaine et une vidéo humoristico-désespérante sur la dure vie des experts…
Sommaire
- Comment communiquer quand c’est interdit ?
- Ocytocine et appartenance au groupe
- Lettres de la semaine
- Vidéo : Les experts
1. Comment communiquer quand c’est interdit ?
Allemagne 1938
Sigmund Freud a raconté que pour obtenir son visa et fuir le nazisme, il avait été obligé de signer un courrier de propagande affirmant qu’il avait été bien traité par la Gestapo. Selon la légende, il se serait sorti de cette situation en rajoutant une phrase au courrier avant de le signer :
“Je puis chaleureusement recommander la Gestapo à tous.”[1]
L’idée est que la Gestapo ne pouvait pas refuser une notion manuscrite aussi positive … mais que l’exagération était tellement visible que le courrier perdait toute valeur comme support de propagande.
La légende a été démontrée fausse (ce qui n’a rien de surprenant[2]) : le courrier a bien été retrouvé, mais sans la mention manuscrite[3].
Mais, conformément au proverbe italien (“se non è vero è ben trovato”), elle montre bien une technique efficace pour s’en sortir en situation difficile. Paul Watzlawick s’en était d’ailleurs servi pour montrer la puissance du paradoxe en communication[4].
USA 2014
La situation actuelle aux USA est moins tragique que celle en Allemagne en 1938, mais un problème vital de même type se pose aux sociétés d’informatique proposant des logiciels ou matériels de sécurité.
Ces sociétés vendent fondamentalement de la confiance : elles assurent à leurs clients que leurs produits sont inviolables et qu’ils ne comportent pas de “backdoor” (“porte de derrière”), c’est-à-dire d’accès secrets qui révéleraient tout ce qu’ils cherchent à cacher.
Mais le renforcement des lois sécuritaires leur pose un problème :
-
Plusieurs agences de renseignement américaines (au moins le FBI et la NSA) ont légalement le droit de leur imposer d’installer des backdoors.
-
Le cas échéant, les éditeurs des logiciels compromis n’ont légalement pas le droit de prévenir leurs clients (ils ne peuvent même pas dire que ça leur a été demandé).
-
Tous les clients potentiels connaissent les deux points précédents.
Ces sociétés sont donc dans une situation où non seulement elles peuvent être obligées de détruire tout l’intérêt de leurs produits mais en plus n’ont pas le droit de rassurer leurs clients. Ce n’est donc pas la mort des personnes, comme en Allemagne nazie, mais c’est déjà la mort des sociétés concernées qui est en jeu.
Deux solutions ont pourtant été trouvées.
Le 8 août 2013, Ladar Levison qui offrait le service en ligne de courriers électroniques sécurisés Lavabit a pu rassurer ses clients qu’il n’avait pas de backdoor. Pour ce faire, il a arrêté brutalement son activité en précisant qu’il n’avait pas le droit de dire pourquoi mais qu’il allait chercher tous les moyens légaux pour pouvoir le dire. C’était clair : il prouvait réellement que si on lui demandait d’installer une backdoor, alors il fermerait le service … en le fermant.
Il s’agissait cependant d’une solution a posteriori, d’une preuve, pas d’un engagement crédible, et la mort de la société n’a donc pas été empêchée.
Jessamyn de librarian.net a proposé une autre solution moins définitive.
L’idée est que s’il est interdit de dire que les services ont fait quelque chose (demandé des renseignements, imposé une backdoor, etc.), il n’est pas (encore) interdit de :
-
Dire qu’ils n’ont pas fait quelque chose
-
Ne pas dire qu’ils ont fait quelque chose
Il propose donc d’afficher, tant que le FBI (NSA, etc.) n’est pas passé, des panneaux comme celui ci-dessus dont la traduction est :
“Le FBI n’est pas venu. (Faites très attention à la suppression de ce panneau)”
et de les retirer dès qu’il est passé…
Cette solution a été reprise par l’éditeur Tao Effect pour son logiciel de cryptage “Espionage”. Il précise ainsi sur sa page de présentation :
“Nous n’avons installé aucune backdoor dans notre logiciel et n’avons reçu aucune demande d’en installer une. Faites très attention à tout changement dans la phrase précédente”[5]
Bien sûr, personne n’est obligé de les croire, mais techniquement, les éditeurs peuvent ainsi informer leurs clients actuels et potentiels de l’intervention des services sans se mettre en difficulté avec la loi qui leur interdit de divulguer une telle information.
Notes
-
“I can heartily recommend the Gestapo to anyone”
-
Voir sur Douance les pages 9 à 16 de Bénesteau (2002)
-
Voir Wikiquote qui indique comme première source : Ernest Jones (1957): Sigmund Freud. Life and work. (1957) p. 226 mais précise bien que le courrier a été retrouvé sans la mention indiquée.
-
Explications Lettre Neuromonaco 22 : “Systémique, Paradoxes et Palo Alto”
-
La phrase exacte, avec les liens :
“We have not placed any backdoors into our software and have not received any requests for doing so. Pay close attention to any modifications to the previous sentence”
Tao Effect
Liens
-
“five technically legal signs for your library”. Jessamyn. librarian.net
-
“How to foil NSA sabotage: use a dead man’s switch”. Cory Doctorow. theguardian.com. Monday 9 September 2013
-
Lettre Neuromonaco 9 : Comment être sûr de ne pas être trompé ? La Théorie du Handicap
Références
Bénesteau, J. (2002). Mensonges freudiens : Histoire d’une désinformation séculaire. Bruxelles: Pierre Mardaga.
2. Ocytocine et appartenance au groupe
La suite de cette section est réservée aux Abonnés Premium
Si vous êtes abonné : connectez-vous pour avoir accès à toutes les archives ;
Sinon : Utilisez le formulaire de commande en haut à droite de chaque page pour recevoir cette lettre intégrale par email.
3. Lettres de la semaine
Les deux sections ci-dessus avaient été envoyées aux Abonnés Premium au cours de la semaine dernière.
Ils ont également reçu : la version complète de la Lettre 110, les templates visuels, et Thomas Jefferson sur l'origine des opinions.
Cette semaine, seront envoyés (avec Sendy) :
- Lundi (déjà envoyé) : Lumière et rythme circadien
- Mardi : Mémoire : 15 secondes d'influence ?
- Mercredi : Qu'est-ce qu'une belle voix ?
- Jeudi : Les décisions sous stress
- Vendredi : Big Data : le suivi des médias
4. Vidéo : Les experts
Les experts ont (presque) toujours tort (Lettre Neuromonaco 41), mais ce n’est pas toujours de leur faute et parfois communiquer est véritablement impossible…
Lauris Beinerts a mis en vidéo un texte hyper réaliste de Alexei Berezin :
Liens
-
Youtube: The Expert (Short Comedy Sketch). Lauris Beinerts. (7’34"). Sous-titrage français par Marin Hannache.
-
Texte original : “Совещание”. Алексей Березин. Слон в колесе 24 мар, 2011
Traduction par Google Translate : “Réunion”. Alexei Berezin. L’éléphant dans la roue. 24 mars 2011 -
Lettre Neuromonaco 41 : “Les experts ont-ils (presque) toujours tort ?”
Citation de cette page :
Gouillou, Philippe (2014) : "Lettre Neuromonaco 111: Comment communiquer quand c’est interdit ?". (14 Apr 2014) Neuromonaco. Retrieved from https://neuromonaco.com/lettres/lettre111.htm on 20 Dec 2014. 1199 words.
[Lettre Neuromonaco 111: Comment communiquer quand c’est interdit ?](https://neuromonaco.com/lettres/lettre111.htm). Philippe Gouillou. _Neuromonaco_. 14 Apr 2014
Cela me rappelle le témoignage classique:
Q. Did you ever stay all night with this man in New York?
A. I refuse to answer that question.
Q. Did you ever stay all night with this man in Chicago?
A. I refuse to answer that question.
Q. Did you ever stay all night with this man in Miami?
A. No.