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18: Les mèmes, les fans et Dunbar

March 29, 2012      Lettres      Philippe Gouillou      2 responses

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Vous voulez faire du “viral“, que votre communication soit exponentiellement partagée sur les réseaux sociaux ? Pour cela il est intéressant de bien connaître l’analogie à l’origine du terme “viral” et de connaître les risques et les limites des “fans“.

Sommaire

Cette lettre avait été envoyée par email le 12 mars 2012 : Abonnez-vous pour les recevoir en temps réel


1. Mémétique : les idées sont des virus ?

« La poule est le moyen inventé par l’œuf pour faire un autre œuf »
(Samuel Butler)

Aujourd’hui, le terme “Mème” est surtout utilisé pour désigner ces photos avec un texte en surimpression à vocation humoristique ou critique mais il s’agit d’une incompréhension du terme et de son intérêt.

Origine du terme

En 1976, Richard Dawkins introduit dans Le Gène Egoïstel’approche gène-centrique de l’évolution qui distingue les “Répliquants” (ou “Réplicateurs“) des “Véhicules“. Au niveau de la vie biologique, les répliquants sont les gènes, qui “cherchent à” se transmettre et pour cela vont créer des véhicules (les individus) qui y parviendront plus ou moins bien. 

Au chapitre XI, qui y est consacré, il remarque que cette image répliquant / véhicule peut être aussi utilisée dans d’autres domaines que la génétique et notamment dans un qui est particulièrement compliqué à analyser : la culture. Il remarque :

“La transmission culturelle est analogue à la transmission génétique dans la mesure où, bien qu’elle soit fondamentalement conservatrice, elle peut donner lieu à une forme d’évolution.” (Dawkins, 1976 chap. XI)

Dès lors il définit une unité mimimale d’information, qu’il nomme “mème”, qui va chercher à se répliquer dans la soupe (pool) mémique qu’est la culture humaine et donc vont avoir une “vie” ressemblant à la vie biologique, les mêmes contraintes s’y appliquant (variation / sélection, certains réussissent mieux que d’autres et ce n’est pas dû uniquement au hasard, etc.), le même vocabulaire y étant appliqué.

Dawkins rajoute :

“Pendant plus de 3 milliards d’années, l’ADN a été le seul réplicateur qu’il valait la peine de mentionner dans le monde mais il ne gardera pas nécessairement indéfiniment ce monopole.”

Cette idée a eu beaucoup plus de succès que Dawkins lui-même s’y attendait et la “mémétique” (étude des mèmes) est devenue une des théories majeures de l’analyse scientifique de la culture. 

Définition du mème

La difficulté est de bien saisir que le niveau du mème est celui du gène, pas du virus (qui contient plusieurs gènes) qui lui correspond aux idées (qui contiennent plusieurs mèmes).

Lors d’une conférence, Susan Blackmore (2002) l’a définit de manière éloquente :

“[…] n’importe quelle chose qui est copiée d’une personne par une autre est un mème. Tout ce que vous avez appris en le copiant sur un autre est un mème ; chaque mot de votre langue, chaque façon de parler. Toute histoire que vous connaissez, toute chanson que vous chantez est faite de mèmes. Le fait que l’on conduise une voiture à gauche ou à droite, que l’on boive du Chianti, que l’on pense que les tomates séchées au soleil ne sont plus bonnes, que l’on mette des jeans ou un tee-shirt pour travailler, sont des mèmes. Le style de votre maison et de votre vélo, le dessin des rues de votre ville et les couleurs des bus sont tous des mèmes ou des formes définies par des mèmes […]

On est loin de ces “mèmes” popularisés par la culture Internet et la composante virale ne fait pas partie de la définition du mème. 

Les limites

Le mème “mème” a connu un succès extraordinaire et est maintenant employé partout.  C’est que l’évolution technologique (de l’invention de l’écriture à Internet aux réseaux sociaux) a totalement révolutionné la transmission des idées qui n’est maintenant plus contrainte ni par la distance, ni par le temps. 

Du côté viral l’analogie s’est révélée solide : les marques chercheront à innoculer leurs idées-virus (constituées de mèmes) pour modifier la soupe mémique des gens et mesureront à la fois le taux de transmission et le taux de variation.  Pour cela elles sont prêtes à des investissements énormes (voir la vidéo ci-dessous).

Il reste que les mèmes ne sont pas encore totalement indépendants des gènes : il ne leur faut pas tuer leur hôte sans avoir une porte de sortie et pouvoir se transmettre, les mèmes ayant un impact négatif sur la transmission génétique auront plus de difficultés à se transmettre. En d’autres termes : le succès d’un mème dans le pool mémique dépend de son impact sur le succès des gènes dans le pool génique, ne vaut-il alors pas mieux s’intéresser à ces contraintes pour analyser la culture ?

Une autre limite est que, à l’opposé des gènes, la transmission fidèle des mèmes est l’exception, pas la règle (Atran, 2001).  Pour son modèle gène centrique Dawkins avait du d’abord consacrer ses deux premiers chapitres à fixer la stabilité du gène :

“Un gène peut être défini comme une portion de matériel chromosomique qui dure potentiellement pendant un nombre suffisant de générations pour servir d’unité de sélection naturelle.” (Dawkins, 1976, Chap. II)

Et trois pages après :

“Si les gènes se mélangeaient continuellement les uns aux autres, la sélection naturelle telle que nous la comprenons maintenant serait impossible.” (id.)

Comment faire avec les mèmes ? Peut-on les définir de manière suffisamment restrictive pour qu’ils soient stables ? Dans ce cas, présentent-ils encore un intérêt d’étude ?

Ces deux limites font qu’il y a énormément de débats sur l’intérêt de la mémétique.

Application pratique

Si vous cherchez à comprendre a posteriori comment une idée s’est transmise, comment elle a été modifiée, qu’est-ce qui l’a enrichie ou au contraire affaiblie et quelle est son influence, alors l’analogie mème-gène est particulièrement utile, à la condition de bien parvenir à distinguer les mèmes constitutifs de l’idée ou du comportement.

Si à l’inverse vous cherchez à créer une idée qui se répandra (ce qu’on appelle abusivement “lancer un mème”) et voulez pour augmenter vos chances de succès vous servir des connaissances acquises, alors il vous faudra aussi vous référer à d’autres approches.

Pour aller plus loin

Photo : Take this down… by Keven Law – Licence CC BY SA


2. Marques : de l’indifférence à la haine

Facebook offre un moyen facile et efficace d’atteindre gratuitement un grand nombre de gens pour lancer ses idées : les Pages. Les clients potentiels pourront s’y déclarer “fans”, c’est-à-dire suivre ce que la marque communique, interagir et même communiquer plus ou moins librement (au choix de la marque). Le nombre de “fans” apparaît donc un chiffre important.

Hélas (pour la marque !), s’il est très facile pour un client potentiel de s’afficher fan (un clic suffit), son implication en est d’autant plus légère, en fait la plupart des “fans” ne l’intègreront pas dans leur “Nombre de Dunbar” (voir ci-après) ne liront jamais la moindre communication de la marque.  Le simple nombre total ne signifie pas grand chose.

Il vaut donc mieux suivre le “Taux d’engagement”, ce que Vincent Pereira définit comme : “le nombre de fans qui partagent, réagissent et commentent sur votre page par rapport au nombre de fans global de votre page (chiffre à multiplier par 100 pour avoir un taux).” 

De l’indifférence à l’amour

Dès lors il distingue 9 niveaux qui vont du moins impliqué au plus engagé (voir l’infographie) :

  1. La masse
  2. Les inactifs
  3. Les lecteurs passifs
  4. Les cliqueurs
  5. Les partageurs
  6. Les commentateurs
  7. Les contributeurs
  8. Les animateurs
  9. Les ambassadeurs

et conseille bien sûr de choyer ces derniers :

“Ces fans (d’ailleurs, pour le coup, le terme est vraiment valable) sont rares et donc, très précieux. Invitez-les, offrez-leur des échantillons, intégrez-les dans votre programme de testeurs, …”

Puis de l’amour à la haine

En fait ces fan(atique)s sont d’autant plus précieux qu’ils peuvent être très dangereux pour votre marque.

Johnson et al. (2010) ont remarqué que certains s’identifient tellement à la marque qu’elle devient constitutive de leur identité et de leur conception d’eux mêmes. Une trahison et ils ressentiront de la honte et de l’insécurité et … se retourneront contre la marque avec parfois la même passion : c’est le 10ème niveau d’engagement.

On remarquera que si cette situation n’est pas spécifique à Facebook, les réseaux sociaux peuvent donner à tout problème personnel une ampleur et un impact jusqu’alors inconnus.

La solution ? Appliquer les mêmes techniques pour rompre avec un fan que celles qui permettent efficacement de divorcer sans en subir trop de conséquences.

Infographie : “9 familles de fans, 9 manières de s’engager (ou pas) sur votre page Facebook” par Vincent Pereira – FormateurConsultant.com - Lundi 27 février 2012


3. La limite de Dunbar

Le Nombre de Dunbar, c’est la célèbre limite de 150 personnes avec qui nous sommes capables d’entretenir des relations suivies, du fait de la taille de notre cerveau. Ce n’est bien sûr pas tout à fait 150, mais 148, et si on ajoute l’intervalle de confiance à 95% c’est entre 100 et 230… mais le nombre de 150 est resté.

Retrouve-t-on cette limite sur les réseaux sociaux ? Faut-il additionner ses contacts IRL (dans la vie réelle) avec ceux online ? Un ami Facebook de plus implique-t-il un ami réel en moins ?

Alexis Mandre a publié une excellente synthèse sur ces questions. Il y cite notamment Dr Cameron Marlow, sociologue chez Facebook, qui remarquait dans The Economist en 2009 :

« un homme moyen – avec 120 amis – répond généralement aux publications de seulement sept de ses amis en laissant des commentaires sur les photos, le statut ou le « mur ». Une femme moyenne est légèrement plus sociable, répondant à 10 personnes en moyenne. Concernant la communication bidirectionnelle comme les emails ou le chat, l’homme moyen interagit avec seulement quatre personnes et la femme moyenne avec six. Les utilisateurs de Facebook possédant plus de 500 amis communiquent plus, mais pas énormément plus. Les hommes laissent des commentaires à 17 amis en moyenne, et les femmes à 26. Les hommes communiquent avec dix personnes, les femmes avec 16. »

Et il remarque que cette même limite a été retrouvé sur Twitter et même sur les jeux en ligne. Donc même si, comme il l’indique “sa validité dans le domaine des communautés virtuelles reste encore à prouver”, il y a une forte présomption que le Nombre de Dunbar limite bien l’engagement sur les réseaux sociaux.

Liens :


4. Qu’est-ce qui compte sur un profil Facebook ?

Quels sont les mots qu’il faut mettre sur son profil pour laisser une bonne image ?

En fait, n’importe lesquels, ou presque : sauf cas particulier, c’est votre photo qui compte, pas le texte, et cela au moins pour l’extraversion.

Van Der Heide et al. (2012) ont effectué plusieurs tests auprès d’étudiants sur un profil fictif et se sont aperçus que, sauf si l’image de profil paraissait anormale, ils ne se basaient que sur elle pour se faire une opinion. L’histoire ne dit pas si ces mêmes étudiants se plaignent de la “dictature de l’apparence”.

Photo :Attractive Face Scale” par Pierre Tourigny – Licence CC-BY


5. Résilience à la japonaise (1 an après)

Une impressionnante série de photos avant/après montre l’extraordinaire réussite des Japonais dans leur nettoyage et reconstruction, un an juste après le tsunami du 11 mars 2011 : The Big Picture: Japan tsunami pictures: before and after” (March 7, 2012) Cliquez sur les photos 2 à 27 pour voir exactement la même zone il y a un an.

Tokyo Shadows

A cette occasion, l’artiste monégasque Pierfranck Pelacchi publie un superbe livre de photos sur Tokyo : Tokyo Shadows.

L’imagerie qui entoure Tokyo est remplie de couleurs et cette exubérance chromatique prend souvent le pas sur sa beauté formelle. 

Cependant, cette ville immense est remplie de contrastes, dessine un « skyline » unique et possède un paysage urbain très graphique.

Le livre est en format Kindle, téléchargeable immédiatement (de nombreuses applications gratuites lisent le format Kindle, comme par exemple celles d’Amazon) et les bénéfices seront reversés à l’association “Japanese Organization for International Cooperation in Family Planning“.


6. La pub à 4 millions d’euros

Sortie le 28 février 2012, cette publicité a, selon Atlantico, pris 2 ans de réalisation et coûté 4 millions d’euros : il coûte de plus en plus cher de faire du viral ! (D’après les commentaires sur YouTube et ailleurs, c’est un succès)

YouTube: L’Odyssée de Cartier (3’31”)


7. Articles cités

Atran, S. (2001). The Trouble with Memes: Inference versus Imitation in Cultural Creation. Hydrological Sciences Journal, 46(6), 1018-1021. doi:10.1080/02626660109492899

Blackmore, S. (2002). L’évolution des machines mémétiques (Traduction de “The Evolution of Memes Machines”). Congrès International Ontopsychologie et Mémétique, à Milan, 18-21 mai 2002.
http://www.memetique.org/wp-content/uploads/2012/02/evolution-machines-memetique.pdf

Dawkins, R. (2006). The Selfish Gene (30th Year ed., p. 384). Oxford University Press. 1st Ed. 1976.

Johnson, A. R., Matear, M., & Thomson, M. (2010). A Coal in the Heart: Self-Relevance as a Post-Exit Predictor of Consumer Anti-Brand Actions. Journal of Consumer Research. University of Chicago Press Chicago, IL. doi:10.1086/657924

Van Der Heide, B., D’Angelo, J. D., & Schumaker, E. M. (2012). The Effects of Verbal Versus Photographic Self-Presentation on Impression Formation in Facebook. Journal of Communication, 62(1), 98-116. doi:10.1111/j.1460-2466.2011.01617.x


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Citation de cette page :

(2012) : "Lettre Neuromonaco 18: Les mèmes, les fans et Dunbar". ( Neuromonaco. Retrieved from https://neuromonaco.com/lettres/lettre18.htm on 20 Dec 2014. 2432 words.

[Lettre Neuromonaco 18: Les mèmes, les fans et Dunbar](https://neuromonaco.com/lettres/lettre18.htm). Philippe Gouillou. _Neuromonaco_. 29 Mar 2012



2 Responses to “18: Les mèmes, les fans et Dunbar”

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