27: Recrutement et Principe de Peter Inversé
May 31, 2012
Lettres
Philippe Gouillou
4 responses

Vous recrutez ? Les études montrent que vous risquez fortement de ne pas choisir les personnes qu’il vous faut. Pire : vous pourrez même mettre en place un “Principe de Peter” à l’envers, où certains resteront bloqués à un niveau où ils n’auront aucune chance de montrer leurs talents tandis que des “toxiques” monopoliseront les postes bien payés.
Sommaire
- 1. Narcisse : le roi des entretiens
- 2. Bonheur et Optimisme
- 3. Tests cognitifs et Performances
- 4. Geeks, Nerds et Aspies : l’Effet Peter Inversé
- 5. Video : Aller au bout de ses rêves
- 6. Articles cités
Cette lettre avait été envoyée par email le 14 mai 2012 : Abonnez-vous pour les recevoir en temps réel
Vous recrutez à Monaco ?
Publiez gratuitement vos annonces sur Emploi-Monaco, le premier site emploi dédié à la Principauté : vous atteindrez l’ensemble des candidats de la Principauté et alentour.
Vous pouvez aussi en profiter pour vous faire connaître : + 200 000 affichages ciblés /mois !
1. Narcisse : le roi des entretiens
“God is really an artist, like me … I am God, I am God, I am God.”
Pablo Picasso
Comment être le meilleur en entretien de recrutement ? C’est tout simple : il suffit d’être narcissique…
Une étude à paraître l’explique : plus habitués à chercher à briller, les narcissiques assureront mieux face à la pression, au point que les questions pièges sensées servir de filtre ne feront que leur permettre de se mettre en avant.
Le problème est signalé par un des co-auteurs :
« Finalement, nous avons trouvé peu de faits qui tendraient à prouver que les narcissiques sont des travailleurs plus efficaces, ou moins efficaces que les autres », conclut Harms. Mais ce que nous savons, c’est qu’ils peuvent être perturbateurs et destructeurs dans leurs relations régulières avec les autres. S’il y a d’autres opportunités, il vaut probablement mieux éviter de les recruter ».
(“Quel type de personnalité réussit le mieux les entretiens de recrutement? Les narcissiques…” par Audrey Duperron. Express.be. 06 avr. 2012)
En 2001, deux des auteurs (Paulhus & Harms) avaient classé le narcissisme avec la psychopathie et le machiavélisme dans la “Triade Sombre“. Jonason et al. (2012) considèrent ceux classés dans cette triade comme des “employés toxiques” et ont étudiés les techniques de manipulation qu’ils emploient.
Nevicka et al. (2011) vont plus loin : les narcissiques ne sont pas que mauvais, ils se croient de bons leaders.
Et ça ne risque pas de s’arranger : Westerman et al. (2012) viennent de trouver que les étudiants actuels sont encore plus narcissiques que leurs prédécesseurs.
Comment faire ?
-
Goncalo et al. (2010) ont trouvé que simuler la compétition entre deux narcissiques permet d’augmenter leur créativité (qui n’est normalement pas meilleure que celle des gens normaux, quoiqu’ils en croient). Si vous en embauchez un, il vous en faudra un deuxième !
-
Plus généralement, Psychology Today vient de publier un article sur comment se défendre des narcissiques : “Don’t Be Fooled by a Narcissist: How narcissists can convince you of their (undeserved) greatness” (by Susan Krauss Whitbourne, Ph.D., Psychology Today May 1, 2012).
Photo : Narcisse, par Benczúr Gyula, 1881 (Wikipedia)
2. Bonheur et Optimisme
Le danger des narcissiques est qu’ils peuvent être confondus avec ceux qui montrent des caractéristiques qui sont elles très positives : l’optimisme et le bonheur.
Chi et al. (2011) ont montré qu’un leader heureux obtient de meilleures performances de ses équipes. Ce n’est pas un résultat isolé : les études s’accumulent montrant le cercle vertueux du bonheur (voir par exemple : Achor, 2011)
Rien que pour l’optimisme, l’effet peut être énorme dans certaines activités : pour la compagnie d’assurance MetLife, Martin Seligman avait pris en compte ce critère d’optimisme lors du recrutement. Ils ont trouvé que les ventes des optimistes avaient dépassés les autres de 8% la première année et 31% la deuxième année, et jusqu’à +57% pour ceux qui n’avaient été recrutés que sur leur optimisme parce qu’ils avaient été rejetés aux autres tests (PDF).
Comment être plus optimiste et plus heureux ?
-
Comme signalé dans la Lettre 13 : le self-help n’est pas la solution
-
Une amélioration de l’environnement de travail peut jouer. On remarque d’ailleurs que les grandes sociétés high tech américaines sont en compétition chaque année pour être celle offrant les meilleures conditions à ses employés.
-
En fait, le problème ne se pose pas : nous sommes déjà naturellement sur-optimistes (nous minimisons nos chances d’un accident ou d’un malheur mais espérons plus que de raison des réussites et des succès : Sharot, 2011), et nous avons même des stratégies qui nous permettent d’entretenir ce biais cognitif face à l’adversité (Sharot et al., 2011)
Pour aller plus loin
-
Tali Sharot avait présenté ses résultats sur le biais optimiste dans le magazine Time : The Optimism Bias (Saturday, May. 28, 2011)
-
Au niveau éducation, Day et al. (2010) puis Rand et al. (2011) ont affirmé que c’est l’espoir, plus encore que l’optimisme, qui expliquerait le mieux les succès académiques.
3. Tests cognitifs et Performances
“Je reconnais le lion à sa griffe“
Jean Bernouilli en recevant une contribution non signée de Newton (source)
La Lettre 14 (“2. Education / Management : le MBA est un handicap…“) l’avait signalé : le QI est le meilleur prédicteur des performances professionnelles (Hunter & Hunter, 1984 ; Schmidt, F. L., & Hunter, 1998).
Une question restait cependant posée : est-ce qu’il y avait un effet plateau, c’est-à-dire qu’à partir d’un QI suffisant, quelques points de plus n’avaient plus d’impact sur les performances (hypothèse “Good Enough“) ou est-ce que la courbe était linéaire, c’est-à-dire que plus de QI se traduisait toujours par une augmentation des performance (hypothèse “More is Better“) :
Arneson et al. (2011) ont non seulement confirmé l’hypothèse “More is Better” (courbe de droite) mais aussi montré que l’effet augmente : en réalité, la courbe n’est pas une droite mais devient de plus en plus verticale.
Cette étude ne dit pas que le QI serait la seule chose qui compte, mais elle est un élément de plus venant contredire les discours usuels.
Au global :
-
Les différents emplois montrent des différences de QI moyen (Gottfredson, 1998 et voir les graphiques dans Hauser, 2002) mais un emploi qui ne requière aucune dimension cognitive ou créative sera mieux réalisé par un robot ou, en attendant les évolutions technologiques, sous-traité à l’étranger.
Conséquence : il n’en reste quasiment plus en Occident.
Corollaire : Il est quasiment toujours possible d’augmenter la part cognitive voire créative d’un emploi (ce qui a un impact direct sur la motivation)
-
Vestberg et al. (2012) ont montré que même dans le sport (en l’occurence le football) un plus haut niveau est associé à de meilleurs résultats aux tests cognitifs
-
L’évolution de la société américaine (comme probablement dans d’autres sociétés occidentales) a accru l’importance du QI dans la réussite (Herrnstein & Murray, 1994 ; voir sur Evoweb: “The Bell Curve : 10 ans après” – 20 août 2004)
-
Le meilleur indicateur du PIB d’un pays est le pourcentage de sa population ayant un QI supérieur à 105,9% (La Griffe du Lion, 2002)
Graphique et lien : “Is Good Enough Really Good Enough? Ability always matters.” by Christopher Peterson, Ph.D. – Psychology Today – November 7, 2011
4. Geeks, Nerds et Aspies : le Principe de Peter Inversé
“Be nice to nerds. Chances are you’ll end up working for one.“
Bill Gates
Recruteriez-vous un autiste ? Probablement pas : il ne passerait pas l’entretien de recrutement.
Pourtant les plus grandes sociétés High Tech se les arrachent : Google, Facebook, Microsoft, Apple, etc. En fait, ce sont eux qui ont inventé et conçu votre monde, depuis l’ordinateur sur lequel vous me lisez jusqu’à quasiment toutes les technologies que vous utilisez quotidiennement. Et ce sont eux qui inventent actuellement notre monde de demain : “Geeks shall inherit the earth.”
La raison est que le “Spectre autistique” est très large et que dans ses formes “de haut niveau” (= à haut QI) il correspond à un fonctionnement du cerveau différent des “Neurotypiques” (= les gens “normaux”) qui apporte certains avantages, qui peuvent être décisifs.
En 2001, Steve Silberman avait provoqué un séisme en publiant dans Wired un article intitulé : “The Geek Syndrome“. Il y remarquait que le nombre d’enfants autistes explosait et cela encore plus dans les zones à forte densité de chercheurs comme la Silicon Valley.
Depuis cet article l’expression “Geek Syndrome“, quoique contestée, est restée un synonyme du “Syndrome d’Asperger“, cette forme d’autisme de haut niveau que l’on retrouve chez de nombreux grands découvreurs et inventeurs (un autre nom fréquent est “Wrong Planet Syndrome“).
Les “Aspies” (= atteints du Syndrome d’Asperger) montrent des difficultés plus ou moins marquées à décoder et/ou communiquer les émotions, sont plus maladroits (pas que socialement, au sens physique aussi) et montrent une forte tendance à se consacrer de manière obsessionnelle à des passions.
Au niveau professionnel, ils démontrent :
-
Quantité et qualité de travail très largement supérieures dans les domaines qui les intéressent
-
A l’opposé : incapacité de réaliser certaines activités (voire blocage)
-
Compréhension généralement “intuitive” de ce qui est technologique
Leur principal problème professionnel est qu’ils sont mauvais en entretien de recrutement (la “première impression”) sauf quand le recruteur est lui-même Aspie ou qu’il les connaît bien (exemple : informaticiens).
Hormis dans les sociétés qui cherchent à les attirer, les Aspies se retrouveront donc fréquemment à végéter à des postes où ils ne pourront exprimer leurs talents : c’est l’inverse exact du Principe de Peter, et les entreprises y perdent tout autant.
En 2008, Jeff Hecht avait publié dans Nature une amusante caricature des relations entre une aspie (la chercheuse) et un neurotypique (le chef…). Il y imaginait que le caractère autistique provenait des gènes néanderthaliens. Le chef raconte :
(…) Comme toujours elle ne pouvait décrypter l’alarme sur mon visage. “L’hybridation a été un succès à l’Age de Pierre, mais l’environnement a changé. J’ai trouvé que les cultures modernes sélectionnent pour la socialisation mais contre les traits néanderthaliens pour les mathématiques et l’intelligence“, dit-elle, avant de baisser les yeux. “Je ne sais pas comment vous allez survivre quand nos gènes auront disparus.“
(Hecht, 2008, traduction personnelle)
Pour aller plus loin :
-
Testez-vous, ça ne prend que quelques minutes et le test est assez fiable : Aspie Quiz, version FR
-
Voir sur Evopsy le témoignage d’Estelle Louckx : “Le Monde d’Asperger” (une des pages les plus lues du site)
-
Un mouvement défend l’autisme comme une expression de la “neurodiversité” : être “Aspie” y est vu comme une autre manière d’être humain, qui n’a pas à être “soignée” par les “Neurotypiques” (= les normaux). Un article de Laurent Mottron sur ce sujet dans Nature (2011) a eu un fort impact (VF : “Changer les perceptions: La force de l’autisme“).
-
People : le chercheur le plus médiatisé sur l’autisme, Simon Baron-Cohen (Wikipedia FR) est le cousin germain de … Sacha Baron-Cohen, aka Ali G, Borat, Brüno et prochainement Général Aladeen (Wikipedia FR)
(Résultat au test d’un anonyme)
Dessin : XKCD 664: “Academia vs Business”
Commentaire associé : “Some engineer out there has solved P=NP and it’s locked up in an electric eggbeater calibration routine. For every 0x5f375a86 we learn about, there are thousands we never see.“
5. Video : Aller au bout de ses rêves
Rien que regarder cette video est déjà un test de sélection : elle terrorisera tous ceux qui sont sensibles à la hauteur… Magnifique et impressionnante.
Vimeo: “I Believe I can Fly ( flight of the frenchies ). Free segment” by sebastien montaz-rosset – VF avec sous-titrage en anglais (14’01”)
6. Articles cités
Arneson, J., Sackett, P., & Beatty, A. (2011). Ability-performance relationships in education and employment settings: critical tests of the more-is-better and the good-enough hypotheses. Psychological Science, (22), 1336-1342.
Achor, S. (2011). The Happiness Advantage: The Seven Principles of Positive Psychology That Fuel Success and Performance at Work (1st ed., p. 256). Crown Business.
Buchen, L. (2011). Scientists and autism: When geeks meet. Nature, 479(7371), 25-27. Nature Publishing Group. doi:10.1038/479025a
Chi, N.-W., Chung, Y.-Y., & Tsai, W.-C. (2011). How Do Happy Leaders Enhance Team Success? The Mediating Roles of Transformational Leadership, Group Affective Tone, and Team Processes1. Journal of Applied Social Psychology, 41(6), 1421-1454. doi:10.1111/j.1559-1816.2011.00767.x
Day, L., Hanson, K., Maltby, J., Proctor, C., & Wood, A. (2010). Hope uniquely predicts objective academic achievement above intelligence, personality, and previous academic achievement. Journal of Research in Personality, 44(4), 550-553. doi:10.1016/j.jrp.2010.05.009
Gallagher, S. A., & Gallagher, J. J. (2002). Giftedness and Asperger’s Syndrome: A New Agenda for Education. Understanding Our Gifted, 14(2), 1-9.
Georges, P., & Badoc, M. (2010). Le Neuromarketing en Action : Parler et Vendre au Cerveau (p. 335). Eyrolles.
Goncalo, J. A., Flynn, F. J., & Kim, S. H. (2010). Are Two Narcissists Better Than One? The Link Between Narcissism, Perceived Creativity, and Creative Performance. Personality and social psychology bulletin. doi:10.1177/0146167210385109
Gottfredson, L. S. (1998). The General Intelligence Factor. Scientific American, 9(4).
Griffe, L. (2002). The Smart Fraction Theory of IQ and the Wealth of Nations. La Griffe du Lion, 4(1).
Hauser, R. (2002). Meritocracy, cognitive ability, and the sources of occupational success. Center for Demography and Ecology.
PDF : http://www.ssc.wisc.edu/cde/cdewp/98-07.pdf
Hecht, J. (2008). The Neanderthal correlation. Nature, 453(7194), 562-562. doi:10.1038/453562a
Herrnstein, R., & Murray, C. A. (1994). The Bell Curve: Intelligence and Class Structure in American Life(p. 896). New York: The Free Press.
Hunter J. E. & Hunter R.F. 1984 : Validity and utility of alternative predictors of job performance. Psychological Bull. 96:72-98 (cited in Herrnstein & Murray, 1994, pp 81, 575)
Jonason, P. K., Slomski, S., & Partyka, J. (2012). The Dark Triad at work: How toxic employees get their way. Personality and Individual Differences, 52(3), 449-453. Elsevier Ltd. doi:10.1016/j.paid.2011.11.008
Landrigan, P., Lambertini, L., & Birnbaum, L. (2012). A Research Strategy to Discover the Environmental Causes of Autism and Neurodevelopmental Disabilities. Environmental Health Perspectives, 120(7), 5-7. doi:10.1289/ehp.1104285
Mottron, L. (2011). Changing Perceptions: The power of autism. Nature, 479(3 November 2011), 33-35. doi:10.1038/479033a – VF: “Changer les perceptions: La force de l’autisme”
Nevicka, B., Ten Velden, F. S., De Hoogh, A. H. B., & Van Vianen, A. E. M. (2011). Reality at odds with perceptions: narcissistic leaders and group performance. Psychological science, 22(10), 1259-64. doi:10.1177/0956797611417259
Paulhus, D. L. ., Williams, K., & Harms, P. (2001). Shedding Light on the Dark Triad of Personality. 2001 SPSP Convention.
Rand, K. L., Martin, A. D., & Shea, A. M. (2011). Hope, but not optimism, predicts academic performance of law students beyond previous academic achievement. Journal of Research in Personality. doi:10.1016/j.jrp.2011.08.004
Schmidt, F. L., & Hunter, J. E. (1998). The validity and utility of selection methods in personnel psychology: Practical and theoretical implications of 85 years of research findings. Psychological Bulletin, 124(2), 262-274. Citeseer. doi:10.1037/0033-2909.124.2.262
Sharot, T. (2011). The optimism bias. Current biology : CB, 21(23), R941-5. doi:10.1016/j.cub.2011.10.030
Sharot, T., Korn, C. W., & Dolan, R. J. (2011). How unrealistic optimism is maintained in the face of reality. Nature Neuroscience. doi:10.1038/nn.2949
Silberman, S. (2001). The Geek Syndrome. Wired.
Vestberg, T., Gustafson, R., Maurex, L., Ingvar, M., & Petrovic, P. (2012). Executive Functions Predict the Success of Top-Soccer Players. (A. V. García, Ed.) PLoS ONE, 7(4), e34731. doi:10.1371/journal.pone.0034731
Westerman, J. W., Bergman, J. Z., Bergman, S. M., & Daly, J. P. (2011). Are Universities Creating Millennial Narcissistic Employees? An Empirical Examination of Narcissism in Business Students and Its Implications. Journal of Management Education, 36(1), 5-32. doi:10.1177/1052562911408097
Citation de cette page :
Gouillou, Philippe (2012) : "Lettre Neuromonaco 27: Recrutement et Principe de Peter Inversé". (31 May 2012) Neuromonaco. Retrieved from https://neuromonaco.com/lettres/lettre27.htm on 20 Dec 2014. 2728 words.
[Lettre Neuromonaco 27: Recrutement et Principe de Peter Inversé](https://neuromonaco.com/lettres/lettre27.htm). Philippe Gouillou. _Neuromonaco_. 31 May 2012
[…] la définition de l’autisme sera restreinte et, selon McPartland et al. (2012), 75% des Aspergers (surtout les hauts QI) en seront exclus. […]
Pourquoi pas …Geeks, Nerds et Aspies : le Principe de Peter Inversé. Via neuromonaco http://t.co/sGzz9BuB
[…] de la Lettre 27-3 (“Tests cognitifs et Performances“) : le QI est le meilleur prédicteur de l’efficacité d’un […]
[…] “Aspies” (Syndrome d’Asperger, voir Lettre 27.4) accordent moins d’importance à l’Information Stratégique, ou alors de […]