Lettre Neuromonaco 19: Management : Comment contrer le Principe de Peter ?
April 5, 2012 Lettres Philippe Gouillou 3 responses
Tagged with: Créativité • Femmes • ManagementLe Principe de Peter : presque tout le monde le connait et beaucoup le subissent quotidiennement. Mais saviez-vous qu’on peut le contrer ? Une étude mathématique donne la solution (presque) imparable. Autres points : les réunions baissent bien le QI, surtout celui des femmes, et l’éthique fait baisser le salaire des hommes, mais pas celui des femmes.
Sommaire
- 1. Comment contrer le Principe de Peter ?
- 2. Les réunions baissent le QI
- 3. L’éthique, ça fait mal aux hommes mais pas aux femmes
- 4. Ailleurs : Excellente campagne Lego
- 5. Video : Vos produits sont-ils accessibles ?
- 6. Articles cités
Cette lettre avait été envoyée par email le 19 mars 2012 : Abonnez-vous pour les recevoir en temps réel
1. Comment contrer le Principe de Peter ?
Le célèbre Principe de Peter est que tout employé compétent bénéficiera d’une promotion jusqu’à ce qu’il atteigne son niveau d’incompétence… d’où il ne bougera plus. Conséquence logique (c’est son corollaire) : avec le temps, tous les postes seront occupés par des incompétents.
Présenté sous une forme humoristique en 1969 par Laurence Peter et Raymond Hull et fréquemment réédité depuis, il semble particulièrement bien expliquer pourquoi “Tout va toujours mal” (c’est le sous-titre), même s’il ne s’applique pas aux politiciens (qui ne sont pas promus mais élus) et que les auteurs n’avaient à l’origine pas pensé aux administrations publiques.
En 2009, Pluchino et al. ont démontré en se basant sur la Théorie des Jeux que ce principe est “inévitable” et que la meilleure solution pour lutter contre est d’abandonner toute méritocratie et de : soit promouvoir n’importe quel employé au hasard, soit choisir au hasard entre le meilleur et le pire.
Ils ont gagné le Prix IgNobel 2010 de Management pour leur démonstration et en 2011, ils ont publié un nouvel article où ils affirment avoir pu valider la robustesse de leur approche dans un modèle plus réaliste. Leurs résultats sont en effet impressionnants :
Les courbes montrent les évolutions de la productivité globale de l’organisation au cours de 1000 ans (1 promotion par an) selon différents scénarios (plus précisément c’est la moyenne glissante sur 50 promotions qui est montrée). Au départ, tout le monde est à presque 70, à la fin entre 59 et 82 selon le mode de promotion mis en place.
Et on y voit bien que promouvoir les meilleurs à la méritocratie selon le Principe de Peter est le pire pour la productivité globale de l’organisation (courbe rouge du bas : 59) alors que promouvoir les plus mauvais est le plus efficace (courbe rouge du haut : 82). On remarque également que l’effet est extrêmement rapide : au delà de la 50ème promotion, plus rien ne change vraiment.
Sommes-nous condamnés ?
Ce même graphique offre cependant une raison d’espérer : les courbes noires. Le Principe de Peter se fonde sur l’hypothèse que la compétence d’une personne à un niveau hiérarchique est indépendante de sa compétence précédente au niveau en dessous. Les auteurs introduisent donc une hypothèse plus proche du “sens commun” qui est qu’il n’y a pas indépendance, que la compétence à un nouveau poste sera dans les plus ou moins 10% de la compétence d’avant. Les courbes noires montrent les scénarios construits sur cette hypothèse avec des résultats opposés à ceux de Peter.
Dans Pour la Science de septembre 2011, Jean-Paul Delahaye montre que le Principe de Peter est la conjonction de deux effets :
-
La régression vers la moyenne :
“L’efficacité d’un employé occupant une fonction où il vient d’être promu est statistiquement moins bonne que sa précédente efficacité, puisque, justement, il a obtenu une promotion du fait qu’il était efficace. En s’ap- prochant maintenant de la moyenne, ce qui est statistiquement inévitable, l’efficacité baisse.” -
L’effet cliquet :
Les employés ayant atteint leur niveau d’incompétence ne sont plus promus mais ne sont pas rétrogradés : “Comme dans une horloge où le dispositif mécanique du cliquet force les roues à tourner dans un sens et pas dans le sens inverse”
Dès lors, si la compétence ne se transmet pas d’un niveau hiérarchique à l’autre, alors la régression vers la moyenne sera positive si l’on promeut les pires et catastrophique si on promeut les meilleurs, si elle se transmet, c’est l’inverse.
Il suffit donc de s’assurer avant promotion qu’il y aura transmission de compétence pour ne pas sombrer dans le Principe de Peter. Jean-Paul Delahaye cite plusieurs solutions comme d’augmenter le salaire sans promouvoir, de virer les incompétents ou de vérifier les capacités par des formations avant promotions.
Mais comment faire quand on ne peut pas savoir s’il y a ou non transmission de compétence ? Pluchino et al. (2009) offrent la solution statistique : il suffit de promouvoir le meilleur dans 47% des cas.
Une autre solution, très employée dans les sociétés de haute technologie, est de créer deux chemins de carrière parallèles avec des évolutions de salaire comparables : une classique orientée management, l’autre orientée expertise. Cette solution permet notamment de sauvegarder la créativité (qui s’oppose partiellement au leadership).
Complément
Voir la Lettre 27: “Recrutement et Principe de Peter Inversé” :
“Vous recrutez ? Les études montrent que vous risquez fortement de ne pas choisir les personnes qu’il vous faut. Pire : vous pourrez même mettre en place un “Principe de Peter” à l’envers, où certains resteront bloqués à un niveau où ils n’auront aucune chance de montrer leurs talents tandis que des “toxiques” monopoliseront les postes bien payés.”
Photo : Couverture de la Réédition de 2011
Graphiques : Pluchino et al., 2009, Fig. 2 et Fig. 3
2. Les réunions baissent le QI
Vous êtes vous déjà senti bloqué, incapable de dire quoique ce soit, inerte lors une réunion ? Si oui alors rassurez-vous : vous n’êtes pas seul dans ce cas.
C’est l’étude de Kishida et al. (2012) citée dans la lettre 16 sur la créativité. Ses auteurs viennent de confirmer ce que l’on craignait : ce n’est pas seulement un problème de communication, c’est bien un problème d’intelligence qui baisse dans ces situations.
Pour cela, ils ont mis sous IRM Fonctionnel 70 personnes en reproduisant une situation de réunion et ont remarqué qu’environ la moitié des testés stressait au point de donner de plus en plus de mauvaises réponses. Au final, chaque groupe se scindait entre les HP (Hautes performances) et les LP (basses performances), chacun réenforçant son positionnement.
Les auteurs signalent cependant que l’effet est désastreux pour tous :
“Nos résultats suggèrent que les individus expriment des capacités cognitives diminuées quand ils sont en petits groupes, un effet qui est exacerbé par le plus bas statut perçu au sein du groupe”
A noter :
-
Les femmes y étaient plus sensibles que les hommes
-
On retrouve l’activation du nucleus accumbens (le “Bouton Achat“)
3. L’éthique, ça fait mal aux hommes mais pas aux femmes
En 1997, MacLellan & Dobson accusaient la discrimination sexuelle (“gender bias“) d’être responsable de la baisse du nombre de femmes faisant des études en business et proposaient d’ajouter des cours sur l’éthique afin de compenser ce biais.
Elles ont certainement été entendues : en 2011, Andrew Hussey a montré que :
-
Les MBA insistant sur l’éthique dans leur programme permettent l’accès à des salaires moins élevés ;
-
Un caractère éthique est négativement lié aux salaires perçus chez les hommes, mais pas chez les femmes.
A noter que selon Randall & Fernandes (1991), il n’y a pas vraiment de différences sexuelles en termes d’éthique : si les femmes apparaissent généralement plus éthiques que les hommes ce serait tout simplement parce qu’elles… mentent plus.
Photo : “Money Hand Holding Bankroll Girls February 08, 2011 7” par Steven Depolo – Licence CC-BY
4. Ailleurs : Excellente campagne Lego
Parfaite démonstration que la créativité peut ne pas coûter cher.
7 autres affiches sont à voir sur La Boîte Verte : “Imaginez des personnages avec Lego” (16 mars 2012), les solutions étant dans les commentaires.
5. Video : Vos produits sont-ils accessibles ?
Extrêmement bien fait ! Attention : d’habitude les clients sont beaucoup plus fainéants…
Remarque : cette vidéo aurait très bien été en accompagnement de la Lettre 3 : Le Bouton Achat du cerveau…
YouTube: Ormie the Pig (3’59”)
6. Articles cités
Brown, J. (2011). Quitters Never Win: The (Adverse) Incentive Effects of Competing with Superstars. Journal of Political Economy, 119(5), 982-1013. doi:10.1086/663306
Delahaye, J.-P. (2011, Septembre). Le principe de Peter. Pour la Science, (407), 82-87.
Hussey, A. (2011). The effect of ethics on labor market success: Evidence from MBAs. Journal of Economic Behavior & Organization, 80(1), 168-180. doi:10.1016/j.jebo.2011.03.005
Kishida, K. T., Yang, D., Quartz, K. H., Quartz, S. R., & Montague, P. R. (2012). Implicit signals in small group settings and their impact on the expression of cognitive capacity and associated brain responses. Philosophical Transactions of the Royal Society B: Biological Sciences, 367(1589), 704-716. doi:10.1098/rstb.2011.0267
MacLellan, C., & Dobson, J. (1997). Women, ethics, and MBAs. Journal of Business Ethics, 16(11), 1201–1209. Springer.
Peter, LJ & Hull, R (2011) The Peter Principle: Why Things Always Go Wrong (p. 191) HarperBusiness (Reprint)
Pluchino, A., Rapisarda, A., & Garofalo, C. (2010). The Peter principle revisited: A computational study. Physica A: Statistical Mechanics and its Applications, 389(3), 467-472. doi:10.1016/j.physa.2009.09.045
Pluchino, A., Rapisarda, A., & Garofalo, C. (2011). Efficient promotion strategies in hierarchical organizations. Physica A: Statistical Mechanics and its Applications, (390), 3496-3511.
Randall, D. M., & Fernandes, M. F. (1991). The social desirability response bias in ethics research. Journal of Business Ethics, 10(11), 805-817. doi:10.1007/BF00383696
Citation de cette page :
Gouillou, Philippe (2012) : "Lettre Neuromonaco 19: Management : Comment contrer le Principe de Peter ?". (05 avril 2012) Neuromonaco. Retrieved from https://neuromonaco.com/lettres/lettre19.htm. 1792 words.
Gouillou, Philippe (2012). [Lettre Neuromonaco 19 : Management : Comment contrer le Principe de Peter ?](https://neuromonaco.com/lettres/lettre19.htm) *Neuromonaco*. 05 Avril 2012
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