87: Les jeux à somme non nulle
October 21, 2013 Lettres Philippe Gouillou no responses
Tagged with: IDP • Neuromarketing • SuccèsCe que gagne l’un n’est pas nécessairement ce que perd l’autre : l’économie et même la vie n’ont été possibles que parce que les échanges volontaires bénéficient à toutes les parties. La difficulté, c’est de réussir à créer et entretenir les relations nécessaires.
Premium : l’impact de Facebook sur le cerveau a été trouvé (avec des enseignements sur les campagnes à y mener), le cinéma a fait fortune sur une règle simple (mais la clientèle a changé) et trois actualités dont une qui fait (très) peur.
Cette Lettre est complémentaire à la Conférence Ecobiz 2013 et à la Lettre 15 (“Générer la confiance par la Théorie des Jeux“).
Sommaire
- 1. Les jeux à somme nulle et non nulle
- 2. Votre Bouton Achat prédit votre usage de Facebook (Premium)
- 3. Cinéma : la recette du succès… et les changements en cours (Premium)
- 4. Actualités (Premium)
1. Les jeux à somme nulle et non nulle
“Si un échange entre deux parties est volontaire, il n’aura lieu que si les deux pensent qu’ils en tireront profit. La plupart des erreurs économiques découlent de l’oubli de cette idée, de la tendance à supposer qu’il y a un gâteau figé, qu’une partie ne peut gagner qu’au détriment de l’autre.”
Milton Friedman, 1990
La conférence du Club Business 06 à Ecobiz était cette année sur la coopération : comment créer des relations “Gagnant-Gagnant” (Win-Win).
Pour mon intervention (disponible en ligne) j’ai choisi d’y présenter le Dilemme du Prisonnier (qui est à l’origine de l’expression Win-Win, voir Lettre Neuromonaco 15 : “Générer la confiance par la Théorie des Jeux“) et deux “Jeux” plus proches de la négociation : le Jeu du Dictateur (quelqu’un qui reçoit de l’argent peut décider de le partager) et le Jeu de l’Ultimatum (l’autre doit accepter le partage sinon tout les deux ont tout perdu).
Il existe énormément d’autres jeux qui, avec leurs variantes, vont modéliser énormément d’interactions humaines voire expliquer des comportements non intuitifs.
Définition
La distinction fondamentale entre tous les jeux se fait au niveau du résultat final :
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Jeux à somme nulle : la somme des gains et des pertes est nulle (ce que gagne l’un est perdu par l’autre)
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Jeux à somme non nulle : la somme des gains et des pertes est différente de zéro (positive ou négative)
Exemples
Les jeux à somme nulle sont faciles à saisir : la plupart des jeux de société sont des jeux à somme nulle, au Poker les gains de l’un sont les pertes de l’autre, etc. Dans la vie quotidienne, l’extorsion sous la menace est modélisable comme un jeu à somme nulle.
Les jeux à somme non nulle sont moins évidents, mais beaucoup plus importants : ils sont à la base de tous les développements économiques et sociaux. Le Dilemme du Prisonnier est un jeu à somme non nulle : il n’y a pas compensation des gains et des pertes entre les joueurs. Dans la vie quotidienne, tout échange de produits ou services non identiques est à somme non nulle, le plus souvent positive : le boulanger gagne à échanger son pain contre de l’argent et l’acheteur gagne à échanger son argent contre ce pain, tous les deux y ont gagné.
Stratégies
Que le jeu soit à somme nulle ou non nulle, chaque joueur peut choisir une stratégie :
-
Dans les jeux purement aléatoires, la stratégie sera basée sur le hasard
-
Dans les jeux à plusieurs tours, il est possible de baser sa stratégie sur le comportement de l’autre (exemple : dans le Dilemme du Prisonnier, le Tit for Tat est une stratégie gagnante dans la plupart des cas, voir Lettre Neuromonaco 15)
-
Même dans les jeux à somme nulle à un tour, il est parfois possible de comparer les gains et pertes en fonction du comportement qu’aura l’autre, et de choisir la stratégie la moins risquée et/ou la plus rentable
Les équilibres
Dans certains jeux, il existe des stratégies qui, une fois qu’elles sont choisies, ne peuvent plus être quittées sans y perdre, sauf si l’autre change de stratégie (mais il est limité par la même contrainte).
Dans les jeux à somme nulle, c’est le “Minimax“[1] (“point-selle”) qui correspond quand on présente les gains sous forme de tableau à la case qui est à la fois le minimum d’une colonne et le maximum d’une ligne (sur l’exemple ci-après : la case contenant “1”) :
De manière plus générale, en incluant les jeux à somme non nulle, on parle d'”Equilibre de Nash” et en évolutionnisme, on parle de “Stratégie Evolutionnairement Stable” quand des variations pas trop importantes ne réduisent pas la stabilité de ces stratégies (conséquence : ces stratégies ne peuvent être envahies).
Ces équilibres ne sont pas nécessairement optimaux, ils ne correspondent pas toujours aux meilleurs résultats pouvant être obtenus, mais ils sont stables.
Dans tous les cas, les jeux à somme nulle ne sont qu’un type particulier de jeux.
L’économie n’est pas la guerre
Sans doute du fait que les jeux de société sont le plus souvent à somme nulle, les jeux à somme non nulle sont moins connus et on lit encore souvent des articles basés sur une vision totalement fausse de l’économie : ils la présentent comme un gâteau à partager, qu’il suffirait de mieux répartir pour que tout le monde se porte mieux[2].
Dans un article de 2011, Philippe Silberzahn démontait une extension extrêmement populaire de cette erreur : croire que l’économie serait une guerre (on parle de “Guerre économique”). Il remarquait notamment (mise en gras ajoutée) :
“5. L’économie bénéficie aux deux parties: Contrairement à ce que pensent les gouvernants et ceux qui baignent dans la culture militaire qui ont tendance à penser l’économie dans une optique mercantiliste, le commerce bénéficie aux deux parties. L’économiste David Ricardo l’a montré depuis longtemps, c’est l’échange qui est source de richesse, pas la production. L’économie peut ainsi avoir plusieurs gagnants.
6. Corollaire du point précédent, l’économie n’est pas un jeu à somme nulle. Au contraire de la guerre ou seul l’un des deux adversaires peut gagner, l’économie peut voir prospérer deux partenaires commerciaux même si ceux-ci se livrent une concurrence acharnée. Coca-Cola et Pepsi-Cola gagnent tous les deux beaucoup d’argent. Il en va de même pour les pays:(…)”
Philippe Silberzahn (2011)
Application pratique : rejeter Sun Tzu ?
Dans son intervention à Ecobiz 2013, Vincent Garnier (CEEI Nice) expliquait qu’on est passé d’une vision de la vente basée sur L’Art de la Guerre de Sun Tzu à une approche plus collaborative.
Dans un nouvel article de mars 2013 lié à celui de 2011, Philippe Silberzahn s’appuyait lui sur un livre d’Edward Luttwak (sur l’autisme stratégique chinois) pour montrer les limites de l’approche de Sun Tzu. Il concluait (gras ajouté) :
“En résumé, on évitera de citer Sun Tzu dans des écrits managériaux, a fortiori si on ne l’a pas lu, ce qui est hélas très souvent le cas, et on n’oubliera pas le contexte très particulier dans lequel il écrivait pour s’inspirer de sa pensée, afin de bien en comprendre les limites.”
Philippe Silberzahn
En effet, Sun Tzu est bel et bien dépassé : les conditions qui le justifiaient ne sont plus actuelles. La réussite se construit maintenant au travers de relations à somme non nulle positive (comme le Gagnant-Gagnant du Dilemme du Prisonnier) et plus par la réduction de l’autre.
Comment faire ?
La difficulté est que les moyens pour créer des relations positives sont souvent contre-intuitifs : la conférence Ecobiz 2012 était justement sur le fait que chercher à coopérer est souvent le meilleur moyen de ne pas y parvenir !
Pour découvrir les contraintes et les techniques à utiliser, voyez les Réunions-Formations pratiques que nous organisons.
Notes
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Définition par Wikipédia FR : “Le théorème du minimax de John von Neumann (parfois appelé théorème fondamental de la théorie des jeux à deux joueurs), démontré en 1928, est un résultat important en théorie des jeux. Il assure que, pour un jeu non-coopératif synchrone à information complète opposant deux joueurs, à nombre fini de stratégies pures et à somme nulle, il existe au moins une situation d’interaction stable, à savoir une situation dans laquelle aucun des deux joueurs n’a intérêt à changer sa stratégie mixte si l’autre ne la change pas. Ce théorème est un cas particulier du théorème fondamental de la théorie des jeux à n joueurs de John Forbes Nash, démontré en 1950.”
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Comme si mettre à la rue tous ceux qui travaillent dans le secteur du luxe réduirait le chômage et la pauvreté…
Liens
-
Philippe Silberzahn :
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Wikipédia FR :
- Théorie des Jeux (nombreux exemples de jeux)
- Jeu à somme nulle
- Théorème du minimax de von Neumann (voir la définition des “Points Selles“)
- Équilibre de Nash (voir la critique de l’anecdote du film “Un homme d’exception” qui ne remet pas en cause Adam Smith)
-
Neuromonaco :
- Lettre 5 : “Statut, Prestige, Dominance”
- Lettre 15 : “Générer la confiance par la Théorie des Jeux“
- Conférence Ecobiz 2012 : “Psychologie de la Négociation“
- Conférence Ecobiz 2013 : “Théorie des Jeux“
- Réunions-Formations pratiques
Images :
Haut : Ron Paul à son bureau. Traduction : “Ne volez pas, le Gouvernement déteste la concurrence“.
A gauche : Détail de Calvin and Hobbes (1992) de Bill Watterson sur le but de la vie et le retour à la nature. Traduction : “Nous sommes sur terre pour nous dévorer vivants les uns les autres“. [Image complète]
Tableau : copie-écran de la page Wikipédia FR : Théorème du minimax de von Neumann
Couverture Sun Tzu : auteur inconnu.
2. Votre Bouton Achat prédit votre usage de Facebook (Premium)
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4. Actualités (Premium)
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Cette semaine : où le business se passe, les résultats de l’immense campagne Coca-Cola, et à quel point vous êtes prévisible (une étude Microsoft qui doit plaire à la NSA…)
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Citation de cette page :
Gouillou, Philippe (2013) : "Lettre Neuromonaco 87: Les jeux à somme non nulle". (21 Oct 2013) Neuromonaco. Retrieved from https://neuromonaco.com/lettres/lettre87.htm on 20 Dec 2014. 1916 words.
[Lettre Neuromonaco 87: Les jeux à somme non nulle](https://neuromonaco.com/lettres/lettre87.htm). Philippe Gouillou. _Neuromonaco_. 21 Oct 2013