#5: Statut, Prestige, Dominance
December 5, 2011 Lettres Philippe Gouillou 2 responses
Tagged with: Handicap • Neuromarketing • StatutPour convaincre, vendre, persuader ou manipuler, ou même pour être élu : rien de tel que d’être dominant. Comment faire alors pour le devenir ?
Sommaire
- 1: Statut = Prestige + dominance ?
- 2: Photos : Les “outils” du Neuromarketing
- 3: Ailleurs : Des dérives journalistiques à la pure propagande
- 4. Articles cités
1: Statut = Prestige + dominance ?
Le statut, c’est la capacité à avoir un accès stable aux ressources nécessaires à la survie et à la reproduction. Grâce au développement de la monnaie et de notre “société de consommation” il est maintenant relativement déconnecté de qui nous sommes (il est “externalisé” d’une certaine manière) mais auparavant (et encore dans de nombreuses sociétés pauvres) le statut dépendait directement des “valeurs” locales. Le monde moderne permet de plus la coexistence de très nombreuses hiérarchies alors que les autres cultures n’offraient le plus souvent comme seule voie de sortie que la religion (voir “Pourquoi…” pp. 81-84).
Le statut a beaucoup moins d’importance dans nos sociétés modernes, mais les programmes sont restés. Fast, Halevy et Galinsky (in press) ont ainsi montré qu’une personne ayant du pouvoir mais pas le statut correspondant a un comportement plus avilissant envers les autres (y penser en management).
Halevy et al. (2011) ont réussi à distinguer à l’intérieur du statut la dominance du prestige.
La dominance était le gros sujet de mon intervention à ECOBIZ le 20 octobre (téléchargeable sur Evopsy) : pour convaincre, vendre, persuader ou manipuler, rien de tel que d’être dominant.
Le prestige est généralement perçu comme une voie d’accès à la dominance, mais il provient des autres qui l’accordent librement : être armé aide souvent à être dominant mais rarement à obtenir du prestige (un des co-auteurs de l’étude, R.W. Livingston oppose Al Capone au Dalai Lama). A noter que les “objets de prestige” n’offrent pas l’accès au prestige mais montrent la capacité à dépenser des ressources (on retrouve le “Handicap” de Amotz Zahavi) et ils attirent en tant que tels (ex: Dunn & Searle, 2010).
L’étude de Halevy et al. montre que non seulement dominance et prestige sont décorrélés, mais qu’en plus ils peuvent s’opposer. C’est une étude complémentaire à une autre de la même équipe (Judge et al., 2011) montrant que les hommes gentils ont des salaires plus faibles (citée à Ecobiz), qui avait eu deux fois les honneurs de Dilbert (Scott Adams) : le 8 octobre (l’illustration ci-dessus en est extraite) et le 10 octobre. Aussi elle a eu beaucoup de succès dans la presse avec des titres tournant autour de “Nice Guys Finish Last” (“les gentils perdent à la fin”). Mais l’étude de Halevy va beaucoup plus loin que ce simple éloge de l’égoïsme.
Au travers de 3 études, Halevy et ses collègues ont trouvé que :
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Etre généreux au sein de son groupe augmente son prestige mais baisse sa dominance (tels que perçus par les autres membres du groupe)
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La contraposée est vérifiée : être égoïste augmente sa dominance (ce qu’ont remarqué les media) mais baisse son prestige
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Etre généreux en dehors du groupe fait chuter à la fois la dominance et le prestige
C’est ce troisième point qui est le plus instructif : la générosité à tout va est le meilleur moyen de tout perdre. Le prestige apparaît ainsi comme la reconnaissance d’une action en faveur du groupe, reconnaissance qui est valorisée, mettez en péril le groupe ou aidez un autre groupe et vous risquez de ne pas en bénéficier. Halevy et al. vont jusqu’à émettre l’hypothèse (dans l’article) que la haine des exogroupes devrait renforcer le prestige, au moins quand il y a risque de conflit.
Application pratique
Cette étude confirme donc un moyen de parvenir à la dominance (s’imposer) et offre en plus une nouvelle explication au prestige, ainsi que le moyen de l’obtenir. Mais elle montre surtout que la distinction de groupe intervient même à ce niveau : toutes les recherches de psychologie sociale sur le “us/them” sont applicables.
Un manager d’équipe, ou même une société faisant sa publicité sur les thèmes à la mode d'”ouverture à l’autre” et de générosité devront y penser et en tenir compte (par exemple : offrez des avantages à vos clients, pas à tout le monde).
Pour aller plus loin
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Les études sont décrites par Nicolas Revoy dans “Le Journal de la Science” (le 29 septembre) : “Les individus agressifs et égoïstes sont plus souvent perçus comme des leaders” (excellent article).
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Une étude de ce type mettant en jeu des sommes d’argent (Zizzo & Oswald, 2001) a montré que la majorité est prête à dépenser pour apauvrir les plus riches (ce qui semble expliquer une bonne partie de la politique fiscale).
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L’étude la plus célèbre sur les relations endo/exogroupes est celle de Muzafer Sherif (1954) : “Robbers Cave Experiment” qui a démontré qu’il n’y a pas besoin que deux groupes soient différents pour qu’un conflit puisse naître.
Photo : Extrait du Dilbert du 8 octobre 2011
2: Photos : Les “outils” du Neuromarketing
Si vous vous êtes jamais demandé comment sont faites les études de Neuromarketing, les deux photos ci-dessous vous le montrent (cliquez sur les images pour les agrandir). Elles montrent aussi pourquoi, en règle générale, les chercheurs utilisent le fMRI et les marketers l’EEG.
fMRI (Imagerie par Résonnance Magnétique Fonctionnelle) :
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Excellente résolution spatiale
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Résolution temporelle médiocre
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Impossible à utiliser en situation réelle (!)
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Donne de jolies images
Electro Encéphalogramme (EEG) :
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Excellente résolution temporelle
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Faible résolution spatiale
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Utilisable en situation
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Ne donne pas de jolies images (courbes nécessitant une interprétation)
A noter qu’au fur et à mesure que les prix des EEG baissent (on atteint le grand public), les chercheurs rajoutent des points de mesures.
3: Ailleurs : Des dérives journalistiques à la pure propagande
A lire sur En Quête de Science, la traduction d’un article de Sumner, Boy et Chambers dans le Guardian sur comment et pourquoi un de leurs articles (Boy et al., 2011) a été totalement détourné par les tabloïds : “Cerveau et maintien de l’ordre, comment améliorer l’information scientifique du grand public ? “
Présentation sur le site :
Plusieurs articles parus dans la presse britannique ou sur le Web ont relayé les résultats d’une étude scientifique qui aurait expliqué les émeutes londoniennes d’août par des carences en une certaine substance chimique présente dans le cerveau humain. Des conclusions totalement infondées.
Consternés, les scientifiques à l’origine de cette recherche nous ont fait parvenir la tribune ci-dessous, publiée à l’origine dans le Guardian.
Par Petroc Sumner, Frédéric Boy et Christopher Chambers, chercheurs en neurosciences cognitives, School of Psychology, Cardiff University.
Remarque : ce n’est là qu’un exemple parmi tant d’autres dont de nombreux qui dépassent les simples dérives journalistiques pour atteindre la propagande (voir par exemple sur Evopsy cette désinformation qui se poursuit depuis presque un siècle : “Le QI des immigrants selon Goddard (1917) revu par Snyderman & Herrnstein“)
Photo : “The USSR is the crack brigade of the world proletariat” (Gusav G. Klucis, 1931) by IISG – Licence CC-BY
4. Articles cités
Boy, F., Evans, C. J., Edden, R. A. E., Lawrence, A. D., Singh, K. D., Husain, M., & Sumner, P. (2011). Dorsolateral Prefrontal γ-Aminobutyric Acid in Men Predicts Individual Differences in Rash Impulsivity. Biological psychiatry. doi:10.1016/j.biopsych.2011.05.030
Dunn, M. J., & Searle, R. (2010). Effect of manipulated prestige-car ownership on both sex attractiveness ratings. British journal of psychology (London, England : 1953), 101(Pt 1), 69-80. doi:10.1348/000712609X417319
Fast, N. J., Halevy, N., & Galinsky, A. D. (in press). The destructive nature of power without status. Journal of Experimental Social Psychology. doi:10.1016/j.jesp.2011.07.013
Halevy, N., Chou, E. Y., Cohen, T. R., & Livingston, R. W. (2011). Status conferral in intergroup social dilemmas: Behavioral antecedents and consequences of prestige and dominance. Journal of personality and social psychology. doi:10.1037/a0025515
Judge, T. A., & Livingston, B. A. (2011). Do Nice Guys – and Gals – Really Finish Last? The Joint Effects of Sex and Agreeableness on Income. Journal of Personality and Social Psychology.
Sherif, M., Harvey, O. J., White, B. J., Hood, W. R., & Sherif, C. W. (1954). Intergroup conflict and cooperation: The Robbers Cave experiment. Reading. University Book Exchange Norman. Retrieved from http://psychclassics.yorku.ca/Sherif/index.htm
Zizzo, D., & Oswald, A. J. (2001). Are people willing to pay to reduce others’ incomes? Annales d’Economie et de Statistique, 39–65. JSTOR.
Citation de cette page :
Gouillou, Philippe (2011) : "Lettre Neuromonaco #5: Statut, Prestige, Dominance". (05 Dec 2011) Neuromonaco. Retrieved from https://neuromonaco.com/lettres/lettre5.htm on 20 Dec 2014. 1436 words.
[Lettre Neuromonaco #5: Statut, Prestige, Dominance](https://neuromonaco.com/lettres/lettre5.htm). Philippe Gouillou. _Neuromonaco_. 05 Dec 2011
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[…] qui montre ce qu’il est possible de faire sans même utiliser toute l’artillerie du neuromarketing. Elle montre aussi que ce n’est pas pour rien que cette vidéo a fait […]