21: Rumeurs, publicités mensongères et autres tromperies
April 19, 2012 Lettres Philippe Gouillou 3 responses
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Sommaire
- 1. Le cerveau face à la publicité mensongère
- 2. Comment faire une rumeur qui colle ?
- 3. Vaut-il mieux être honnête ou éloquent ?
- 4. Publicité : le dentifrice est une drogue comme une autre
- 5. Marketing de la passion : Un exemple
- 6. Vidéo : Nostalgie américano-monégasque
- 7. Articles cités
Cette lettre avait été envoyée par email le 2 avril 2012 : Abonnez-vous pour les recevoir en temps réel
1. Le cerveau face à la publicité mensongère
« Toute femme de tout âge, de tout rang, de toute profession ou condition, vierge, fille ou veuve, qui, à dater du dit acte, trompera, séduira ou entraînera au mariage quelqu’un des sujets de Sa Majesté, à l’aide de parfums, faux cheveux, crépon d’Espagne (sorte d’étoffe de laine imprégnée de carmin et encore employée aujourd’hui comme rouge sous le nom de fard en crépon) et autres cosmétiques, buses d’acier, paniers, souliers à talons et fausses hanches, encourra les peines établies par la loi actuellement en vigueur contre la sorcellerie et autres manœuvres ; et le mariage sera déclaré nul et de nul effet. »
Arrêt du Parlement anglais – XVIII° (ou 1170* ?)
Craig et al. (2011) se sont intéressé à comment le cerveau réagit face à une publicité mensongère (autre que le maquillage). Pour cela ils ont soumis à des testés sous IRM fonctionnel (fMRI) trois types de publicités imprimées, en leur demandant de ne pas chercher à les évaluer. Ces trois types correspondaient à différents degrés de plausibilité : “fortement croyables”, “modérément trompeuses”, “fortement trompeuses”. Ils ont trouvé que l’exposition à ces publicités provoquait deux phases de réaction dans le cerveau :
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Activation du precuneus, associé à la concentration, cette activation étant plus forte quand la publicité était plus trompeuse.
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Activation du superior temporal sulcus (STS) et de la jonction tempero-pariétale (TPJ), associés à la Théorie de l’Esprit (ToM). Là, ce sont les publicités modérément trompeuses qui provoquent le plus d’activation, peut-être parce que les plus trompeuses ont déjà été éliminées lors de la première phase.
Une étude de suivi a montré que quand les testés pouvaient moins facilement détecter les intentions de la publicité, alors ils avaient plus tendance à croire les publicité modérément trompeuses. Les auteurs en déduisent que cette deuxième phase a bien pour objectif de protéger le cerveau contre le mensonge.
Cette stratégie de deux barrières est probablement utilisée plus généralement pour détecter les mensonges. On remarquera d’ailleurs que le menteur efficace cherchera souvent à insister sur la pureté de ses intentions pour mettre en confiance.
Communiqué de Presse : “How the Brain Responds to Deceptive Advertising” – ScienceDaily – Feb. 28, 2012
Source de la citation : “Toilette des élégantes du XVIIIe siècle : renouveau des coiffures, souliers et mouches (D’après « Mode et beauté », paru en 1901)” – La France pittoresque – 17 mars 2012
* Le site “Patrimoine Culturel Immatériel” indique comme date : 1170
Photo : “Her Name Is Rio” par D. Sharon Pruitt – Licence CC-BY
2. Comment faire une rumeur qui colle ?
Dave Kujan: A rumor’s not a rumor that doesn’t die…
Usual Suspects (1995)
Gosciny et Uderzo dans Astérix : La Zizanieavaient montré l’efficacité de la rumeur pour détruire l’unité et la motivation des adversaires. La BD date de 1970, elle est encore bon enfant et l’histoire s’y finit bien (ie : l’unité revient), mais dans la réalité le résultat est souvent moins rose.
Pourtant toutes les rumeurs ne sont pas efficaces. Beaucoup tombent à plat pour manque d’intérêt (il est préférable que la rumeur concerne l’information stratégique : voir Boyer), d’autres sont trop facilement réfutables.
Olivier Klein, enseignant en Psychologie Sociale à l’ULB et à l’Université de Mons a publié un article qui aborde la question dans l’autre sens : “Pourquoi nier des rumeurs ne sert généralement à rien” (17 mars 2012). Il détaille cinq raisons :
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Le simple énoncé : “le simple fait qu’on ait été exposé à une affirmation, fût-elle fausse et identifiée comme telle, peut nous amener à y croire” (il cite Gilbert et al., 1993)
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La “persévérance des croyances” (il cite Anderson et al., 1980)
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Le “sentiment de familiarité” (il cite Schwarz & Clore, 2007)
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Une information facile à traiter est considérée plus fiable (exemple : influence de la lisibilité)
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Les négations ne convainquent pas
La troisième et la cinquième raison feront l’objet de prochaines lettres : le sentiment de familiarité explique une bonne part de l’efficacité du battage publicitaire et la négation est une technique efficace pour distiller le doute. Ici nous allons nous concentrer sur la deuxième raison, la “persévérance des croyances“, qui nous permet déjà à elle seule de construire la rumeur immortelle.
L’idée est simple : quand une rumeur est expliquée, on peut nier la rumeur mais pas l’explication.
Imaginez que je vous annonce que X a commis tel méfait. Si cette information vous interpelle, vous allez chercher à la comprendre, à l’expliquer, c’est-à-dire à rechercher tout ce que vous savez de X qui va dans le sens ou non de cette rumeur. Au final, vous aurez reconstruit toute votre image de X en mettant en avant ces informations compatibles. Je peux maintenant vous avouer que la rumeur était fausse : l’image construite que vous avez de X est durablement transformée, au pire vous vous direz que certes ce n’était pas vrai, mais que ça aurait pu…
Construire une rumeur qui tienne s’en déduit directement : faites en sorte que son histoire soit explicable, qu’elle incite à reconsidérer la personne attaquée, et vous n’aurez plus à craindre les démentis.
Pour aller plus loin
Même parmi ceux qui croiront votre rumeur (ou qui n’oublieront pas l’explication qu’ils y auront donnée), tous ne seront pas autant impactés par elle. La sensibilité au ad hominem varie d’une personne à l’autre.
3. Vaut-il mieux être honnête ou éloquent ?
Eloquent, bien sûr : vous serez plus apprécié et plus convaincant.
Dans une interview pour le Harvard Business Review Todd Rogers et Michael I. Norton affirment qu’un manager sera plus apprécié s’il répond brillamment à côté que de manière moins assurée à la question posée.
Les premiers exemples cités viennent de la politique mais Norton remarque : “Mon impression est que les politiciens s’y entraînent plus et y sont peut-être naturellement bons, mais nos résultats s’appliquent aussi au business.“
Liens :
- “Defend Your Research: People Often Trust Eloquence More Than Honesty” by Todd Rogers and Michael I. Norton – HBR – November 2010
- “De l’art de noyer le poisson” Par Yann Auger – L’Expansion – 14/04/2011
4. Publicité : le dentifrice est une drogue comme une autre
Slate a mis en ligne un extrait du livre de Charles Duhigg cité dans la lettre 17 (“4. Marketing : Etes-vous prévisible ?“), en version originale et traduit par Yann Champion.
Cet extrait explique pourquoi le publiciste Claude C. Hopkins a réussi à imposer à l’ensemble de la population une nouvelle habitude au début du XX° siècle. Il est à noter que ce succès s’explique par des découvertes psychologiques ultérieures. Maintenant, toutes les marques savent reproduire ce qu’avait fait Hopkins, lui avait été le premier, il a gagné le jackpot (plus d’un million de dollars de l’époque…)
Extrait :
«Les consommateurs ont besoin d’un signe leur prouvant que le produit est efficace», m’a déclaré Tracy Sinclair, ancien responsable marketing d’Oral-B et du dentifrice pour enfants Crest.
«On peut donner n’importe quel goût au dentifrice (myrtilles, thé vert…). Tant qu’il y a une petite fraîcheur piquante, les gens ont l’impression d’avoir la bouche propre. Ce n’est pas ça qui rend le produit plus efficace. Ça convainc juste les gens que le dentifrice fait son boulot.»
Le chapeau de la version française est : “Grignoter, fumer, se brosser les dents : comment l’histoire du dentifrice permet d’expliquer pourquoi nous ne parvenons pas à résister aux habitudes.“
Liens :
- VF : “Le dentifrice est une drogue comme une autre” par Charles Duhigg (Trad. Yann Champion) – Slate – 30 mars 2012
- VO : Duhigg, C. (2012). “The Power of Habit: How the history of toothpaste explains why you can’t lose weight.” By Charles Duhigg – Slate – Tuesday, Feb. 28, 2012, at 6:55 AM ET
Image: Duhigg, C. (2012). The Power of Habit: Why We Do What We Do, and How to Change(p. 400). Portsmouth, New Hampshire: William Heinemann Ltd.
5. Marketing de la passion : Un exemple
La Lettre 20 (“Qu’est-ce qu’un produit parfait ?“) remarquait :
“le produit parfait est celui qui sera haï par certains et adulé par d’autres ; concentrez-vous sur votre cible, faites le choix de déplaire aux autres, vous y gagnerez.“
Un lecteur m’a signalé la sauce Marmite dont la publicité se fonde justement sur le fait qu’elle est adorée ou détestée : elle essaie de mettre les “haters” de son côté, en les incitant même à rejoindre une page Facebook dédiée.
Lien : www.marmite.com/
6. Vidéo : Nostalgie américano-monégasque
La nostalgie n’est certes plus ce qu’elle était : elle est maintenant un positionnement marketing. La chanteuse Lana Del Rey est lancée sur ce positionnement, avec des chansons tristes et des vidéos à l’ancienne, comme du Super-8 flou et brûlé, des images type années 50s.
La première vidéo de sa chanson “Blue Jeans” (septembre 2011) multipliait les plans sur Monaco : j’en ai compté huit évidents et d’autres où le doute est permis. Et vous ?
YouTube: Lana Del Rey : Blue Jeans (9 septembre 2011 – 3’58”)
7. Articles cités
Anderson, C. A., Lepper, M. R., & Ross, L. (1980). Perseverance of social theories: The role of explanation in the persistence of discredited information. Journal of Personality and Social Psychology, (39), 1037-1049.
Craig, A. W., Loureiro, Y. K., Wood, S., & Vendemia, J. M. . (2011). Suspicious Minds: Exploring Neural Processes During Exposure to Deceptive Advertising. Journal of Marketing Research, 1-12. doi:10.1509/jmr.09.0007
Gilbert, D. T., Tafarodi, R. W., & Malone, P. S. (1993). You Can’t Not Believe Everything You Read. Journal of Personality and Social Psychology.
Schwarz, N., & Clore, G. L. (2007). Feelings and Phenomenal Experiences. In A. Kruglanski & E. T. Higgins (Eds.), Social Psychology. Handbook of basic principles (pp. 385-407). New York: Guilford Publications.
Citation de cette page :
Gouillou, Philippe (2012) : "Lettre Neuromonaco 21: Rumeurs, publicités mensongères et autres tromperies". (19 Apr 2012) Neuromonaco. Retrieved from https://neuromonaco.com/lettres/lettre21.htm on 20 Dec 2014. 1812 words.
[Lettre Neuromonaco 21: Rumeurs, publicités mensongères et autres tromperies](https://neuromonaco.com/lettres/lettre21.htm). Philippe Gouillou. _Neuromonaco_. 19 Apr 2012
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[…] Enfin il faut comprendre ce qui fait qu’une rumeur colle, pour cela revoir la Lettre Neuromonaco n° 21 : “Rumeurs, publicités mensongères et autres tromperies“. […]
[…]Cette Lettre est complémentaire à la Lettre 21 : Rumeurs, publicités mensongères et autres tromperies (1. Le cerveau face à la publicité mensongère ; 2. Comment faire une […]